L’injonction du faire
Ou quand la procrastination est l’ennemie numéro 01 alors que… Alors que parfois, c’est bien tout ce qu’on peut faire et ça peut même être utile. En vérité, je ne suis pas certaine de savoir ce que veut dire la procrastination, exactement. Pas la définition du dictionnaire, je sais lire. Mais ce qu’on y met précisément derrière. Et si la procrastination n’avait été popularisée que pour nous vendre des méthodes pour la combattre ? Faire, faire, faire, il faut faire. Du matin que tu te lèves au soir où tu te couches, tu dois faire. Et vous savez chez qui ça marche très bien, cette injonction du faire ? Chez les gens qui adorent se flageller. Genre… moi.
Si je m’organise, je peux tout faire
Longtemps, je me suis racontée une histoire. Je me la raconte encore, en vérité. Je peux tout faire si tant est que je m’organise bien. Lors de mon chômage, je m’étais prévue une organisation millimétrée. De 9h à 9h30, aérobic puis 30 minutes de Powerpoint Art. De 10 à 12h, je bosse. Pause dej puis à 14h, petite séance d’écriture jusqu’à 14h30, envoi de candidature jusqu’à 15h. De 15 à 17h, je bosse. Puis de 17h à 17h30, j’écris. De 17h30 à 18h, je recopie ce que j’ai écrit, de 18 à 18h30, stepper puis à 18h30, je vais préparer le repas du soir. Je n’invente pas ce planning, je l’avais réellement mis en place… dans mon agenda. Parce qu’en vrai, je ne l’ai pas tenu une seule fois. Pas une seule. Déjà parce que ce millimétrage semble considérer que je n’ai pas de vessie mais surtout… La vie.
Je ne suis pas un robot
Je ne suis pas un robot. Révélation, dis donc. J’ai donc une forme fluctuante. Y a des jours où je vais abattre une forêt sans suer et d’autres où ça déclenche pas. J’ai beau faire, je me perds à la première occasion sur Insta, Twitter, Twitch… Je refuse catégoriquement d’installer Tiktok car je sais le mal que ça me ferait. Alors que bon, si je veux alimenter ma vie d’écrivaine Amazon ou d’autrice de BD, c’est important… Vie totalement imaginaire et c’est bien dommage car la BD Ofelia qui n’existe que dans ma tête est de toute beauté, je vous jure. J’ai même pour idée de me faire une étude artistique des représentations d’Ophélie pour les intégrer d’une façon ou d’une autre dans ma BD. Qui n’existe pas. Ma vie intérieure est si riche. Bref, y a des jours où j’ai la patate, d’autres où je traînasse. D’autres encore où je suis carrément malade. Genre la semaine dernière, encore mon ventre. Donc déjà, tant que j’aurais pas réglé ce problème récurrent, peut-on vraiment espérer être un peu régulière dans la production ? Surtout que j’ai régulièrement mes règles et des fois, ça me nuit un peu. Oui, je suis humaine donc la productivité continue, elle est peu envisageable. Déjà les machines n’y arrivent pas avec des ralentissements de serveurs et tout alors moi…
Moi, je veux juste prendre le temps
Mais il y a l’injonction de faire. Je reparlais récemment du Miracle Morning parce que c’est une incarnation parfaite de ça. Tu dois te lever tôt pour faire des trucs. Une liste très précise. Ayant repris une activité professionnelle récemment et devant me rendre de temps en temps sur place, j’ai avancé mon réveil de quelques minutes. Pour méditer- écrire – faire du sport – faire des vœux pieux ? Nan. Juste boire mon café tranquillement. Je ne suis pas du matin. Sous-entendu : je n’ai aucune patience le matin et le moindre hiatus peut me mettre de mauvais poil. Et moi, ce que j’aime au petit dej, c’est siroter tranquillement mon café en traînassant sur un réseau social ou lire un article, mater des photos. C’est tout. Je veux juste ça. Mon kif dans la vie, c’est d’avoir la sensation d’avoir le temps. Avaler mon café en 2*2, c’est mon pied gauche à moi.
Je ne travaille pas sur la meilleure version de moi-même
Sauf que prendre le temps est l’exact opposé à l’injonction de faire. Injonction qui marche très bien chez moi vu que j’adore me détester. Ahlala, regarde tous ces gens qui réussissent alors que toi, tu es une ratée. Flagellation, flagellation ! Alors si tu me lis pour la première fois et que tu es dans le même cas, petit rappel :
- Tu ne sais rien de la vie des autres.
- Parfois s’ils ont le temps de faire ce que, toi, tu ne fais pas, c’est parce que c’est leur métier.
- Peut-être aussi que tu ne fais pas les choses parce que tu as peur, notamment de l’échec. Soit tu bosses sur cette peur soit tu l’admets et tout ira mieux.
Quand je prends du temps, je ne travaille pas sur la meilleure version de moi-même. Celle qui a trois carrières, de la réussite et même sans doute du fric et un corps ferme et élastique. Mais cette version n’existera jamais, en vrai. Déjà parce que je serais la meilleure version de moi-même dont je rêve actuellement, je serais en train de rêver à une meilleure meilleure version de moi-même. Alors pourquoi au final ? J’ai pas besoin de plus d’argent. Je fais ce que je peux avec mon corps qui fonctionnera encore mieux une fois cette histoire de ventre à peu près réglée. Et c’est pas le développement personnel qui va guérir ma tuyauterie nulle. Oui, évidemment, j’aimerais une certaine reconnaissance sur mes petites bricoles. J’écris depuis environ toujours et j’aimerais que ça finisse par concrétiser un truc. Cependant quand ça a failli être concret, j’ai failli justement.
J’ai pas envie de me fixer
Peut-être précisément parce que ma vie intérieure est trop riche. Mes rêves divers et variés imposent qu’à un moment, je fasse. Oui, ça me plairait d’être une petite autrice Amazon au succès d’estime, comme Christelle Lebailly par exemple. Vous ne la connaissez peut-être pas mais récemment, j’ai lu des livres de tas de gens que je ne connaissais pas alors qu’ils sont publiés dans de “vraies” maisons d’édition. Mais ça demande une somme de travail que je n’ai pas souvent le courage de faire. Déjà faudrait que j’écrive, hein. Mon souci, c’est que ma vie intérieure est riche parce que me consacrer à un seul projet m’ennuie. Sur du court terme, je peux sans soucis. Là, clairement, je vais me consacrer à mon bidou en priorité. Certes plus par nécessité que par envie. Mais se laisser porter par la vague, c’est bien aussi. Un concept totalement étranger à l’injonction de faire puisqu’il faut faire en tout circonstance. Et je fais beaucoup puisque je rentabilise pas mal de “moments perdus”. Les transports : je lis, j’écris. La marche entre le transport et mon job : j’écoute un livre audio. La cuisine ? Livre audio. Aux toilettes ? J’ai les BDs que j’emprunte à la bibliothèque. Pendant mon stepper, je fais ma session d’Air sync parce que v’là la bonne humeur.
Des fois, je glande. Et ?
Alors oui, des fois, je fous rien. Genre, là, je viens de passer une heure à somnoler en zappant sur les réseaux sociaux parce que coup de barre. J’ai vu des vidéos étranges d’un mec qui jette des poupons dans un jardin pour enfants en mode “ce jeu est dangereux pour votre enfant, regardez !”, d’une meuf qui se glisse dans les restes d’un ballon de baudruche pour faire gaine ou encore d’une autre qui coule du béton dans des bottes en caoutchouc pour en faire des pieds de fontaine. Une belle perte de temps, certes mais j’avais pas l’énergie de faire autre chose et c’est ok. Et j’écris ça alors que j’y crois pas du tout. Enfin, mon moi y croit mais mon ça veut toujours me tataner au moindre relâchement, alors…Ma pire angoisse dans la vie, c’est de ne rien avoir à faire. Vous vous souvenez, la gangue ? Alors que là, je suis retournée dans la même boîte, j’ai toujours rien à faire mais j’ai des tas d’occupations, je ne m’ennuie pas. Le télétravail joue beaucoup ici, évidemment… Je crois que cette injonction du faire, cet épanouissement dans le faire peut même expliquer mon manque total de volonté de progression professionnelle. Les managers ne foutent pas toujours grand chose. En tant qu’experte/consultante, appelez ça comme vous voulez, j’ai des tâches. Une to do à débiter. Je fais, je fais, je fais. Et il y a une preuve que je fais.
Rêvasser proactivement
Et c’est sans doute pour ça que j’aime bien le Do it yourself. D’ailleurs, j’ai quelques petits cadeaux du genre qui arrivent pour mon anniversaire, hiiiii. Au moins, je fais un truc mais ça me permet de rêvasser. Comme quand je jouais à Candy Crush mais en plus avouable. Parce qu’honnêtement, c’est quoi la différence entre faire un puzzle et jouer à candy crush ? Le puzzle est censé être un truc intello mais je ne vois pas tant en quoi. Avoir de la méthode permet certes d’aller plus vite mais après, faut pas avoir fait bac+8 pour repérer les bords, les couleurs et qu’un trou et un trou ne s’emboîteront pas. Certes, il y en a de plus difficiles mais à la base ? Pourtant, je n’ai jamais vu de coach développement personnel taper sur les puzzles. Alors que vraiment, je ne suis pas certaine qu’il y ait une différence fondamentale. Evidemment, il y a le classique “les écrans, c’est mal”. Et aussi le délire actuel autour de la dopamine, je suppose et qui n’a aucune base scientifique. Mais ressent-on moins de plaisir en avançant dans son puzzle qu’en passant un niveau de Candy Crush ?
Faire, même si c’est mal faire ?
L’injonction à faire n’est qu’une pelletée d’orties en plus pour nous flageller. Surtout que quand on t’intime de faire, on ne te dit pas de faire bien. Quand j’opte pour une activité, j’essaie avant tout de m’écouter. Suis-je en bonne forme intellectuelle ? Alors je peux écrire, par exemple. Je me sens somnolente et peu concentrée ? Un peu de Powerpoint art ou de recopiage de mes cahiers d’écriture. Et si je suis vraiment claquée ? Bah sieste. Si possible. Franchement, entre perdre deux heures à lutter contre l’assoupissement et vingt minutes de repos, finalement…
Le droit de glander !
Bref, ne rien faire est un droit. Si c’est ce qui vous fait du bien au moment T, let’s go. Personne ne vous en voudra. Personne sauf… vous, peut-être. Peut-être que ça devrait être ça, ma résolution des 43 ans. Arrêter de me culpabiliser tout le temps de tout ce que je ne fais pas. On en reparle jeudi car… ce sera mon anniversaire !