L’obsession d’une vie parfaite

L’obsession d’une vie parfaite

L’avantage quand on va voir une psy, c’est qu’elle te met sous le nez ce que tu n’avais pas vu. Ou que tu ne voulais pas voir, c’est selon. La dernière fois, la conversation a très vite tourné autour d’une injonction qui me mine sans que j’en ai même conscience : l’impératif de perfection. Je veux une vie parfaite parce que… bah, tout le monde en a une, pourquoi pas moi ? Bon, déjà, ça, c’est faux mais on y reviendra mais surtout ça implique que je pourrais maîtriser certains paramètres hors de ma portée. Et surtout, si je rate ma vie parfaite, je vrille. Alors qu’il n’y a pas à se mettre la pression comme ça.

Avoir une vie parfaite
(c) Fuu J

L’accident qui gâche tout

Vendredi 08 septembre. J’ai déjà parlé de cette journée car elle est le modèle parfait de ce dont je veux parler ici. On venait de rentrer de très bonnes vacances et pour parfaire l’expérience, on s’était prévu une journée doudou sur Bordeaux. Matinée spa et massages, sushis et ciné. Une belle réussite jusqu’à la chute. La vraie chute, celle qui m’a projetée sur l’asphalte alors que j’étais en vélo et débardeur, entamant sérieusement la peau de mon coude. Enfin sans doute moins que ce que je ne pensais vu que trois semaines plus tard, il ne reste quasi plus de traces. Mais c’est tellement symbolique, ce “j’avais la peau toute douce du massage et scratchhhh”. J’en parle à ma psy le lendemain, rendez-vous qui tombait parfaitement et elle souligne, avec raison, que c’est encore mon délire de vie parfaite et que oui, un accident, ça arrive. Et que, par définition, c’est pas un truc qui se prévoit.

C’est plus moi le boulet !

Je sais pas d’où ça vient, mon impératif de perfection. Enfin, si. De l’enfance, comme toujours. Du classique des parents qui râlent sur leurs enfants car ils sont trop comme ci, trop comme ça. Moi, non seulement j’étais maladroite mais j’étais aussi souvent malade pendant ma petite enfance. Celle qui gâche les vacances avec son 39 de fièvre. Depuis, j’ai la hantise d’être le boulet de service. Je ne veux pas être la brebis galeuse, celle qui met en péril le troupeau parce qu’elle fait mal un truc. Enfin, quelque chose comme ça. D’ailleurs, quand je pars en groupe et qu’une personne est un peu lente ou maladroite, je soupire d’aise. C’est bon, c’est pas moi le boulet ! Ce qui, d’abord, n’est pas très gentil mais surtout… est-ce si grave ? Je veux dire dans mes voyages passés, j’en ai toujours un ou une de boulet et ça n’a eu aucune conséquence sur le groupe. De l’agacement, oui, mais j’ai jamais raté un avion ou un truc parce qu’une personne est étourdie ou maladroite. 

Mon imperfection face à vos perfections

Mais je crois devoir être parfaite parce que les autres le sont. Crois-je. Et c’est le point “les réseaux sociaux créent des complexes”. Evidemment, les réseaux sociaux nous confrontent à plus de gens que la simple “vraie vie” dirons-nous mais c’est globalement la même mécanique. Quand on discute avec des gens, surtout des gens que l’on connaît peu, on se bâtit naturellement une image. On ne raconte pas touuuuuuuuute sa vie, on conserve des morceaux choisis. Et rarement des morceaux qui ne nous mettent pas en valeur. Sauf si, éventuellement, y a un truc drôle ou que ça peut conforter l’image que l’on veut donner. Par exemple, si je raconte que j’ai raté un plat en cuisine, je parlerai certainement d’un plat complexe. Je ne raconterai à personne que j’ai raté la cuisson des pâtes ou je ne sais quoi. Sauf si j’ai décidé que mon personnage, c’était “je suis tellement nulle en cuisine que…”. Du coup, on vit dans une bulle où tous vos congénères ont l’air de réussir leur vie, de réaliser leur rêve, d’être toujours impeccables alors que vous…

Un lit en désordre
(c) Felipe Pelaquim

Pression sur les vacances

Un exemple typique de ça, ce sont les vacances. Les vacances, c’est ma grande angoisse. Dans le sens où on en a relativement peu et je me mets une pression de fou pour que ce soit parfait. On a dix, quinze jours hors de notre routine, il faut kiffer. Tout faire, tout voir, tu connais les bails. Ce qui avait donné des vacances au Japon un peu ambivalentes. Oui, on a adoré mais on n’a pas été chanceux niveau météo, on a raté le mont Fuji en conséquence. Et on en a tellement fait qu’à la fin, on est totalement passé à côté de Kyoto. Parce qu’on était parti du principe qu’on ne reviendrait pas et qu’il fallait tout voir sur ce coup-là. Ceci étant, ça fait 6 ans qu’on y a été et le “on reviendra”, finalement… Et même une immense interrogation : qu’est-ce qu’il s’est passé pour que je ne sois pas touchée par la forêt de bambous que tout le monde adore. Bref, il faut des vacances “plein les mirettes”, ne pas avoir de regrets ou de ras-le-bol parce que les prochaines vacances, elles sont dans plusieurs mois, youhou. 

La vie de personne n’est parfaite

Mais la vie n’est pas parfaite. On a tous nos tracas, ce que l’on cache derrière nos sourires de façade. Tu as des gens, sur les réseaux sociaux, ils ont l’air parfaitement heureux, tu les envies. Et paf, ça finit en féminicide. Des corps parfaits qui s’obtiennent à coup de comportements pour le moins discutables. Je peux me flageller tant que je veux sur mon manque de sérieux quant à une pratique sportive ou un régime alimentaire strict, quand certains corps s’obtiennent à coup d’abus de protéines ou carrément de coke, j’ai envie de te dire… Idem sur la tenue de ma maison. Je chouine du bordel ambiant mais je suis absente de chez moi de 8 à 19h en semaine, un peu claquax le week-end. Et j’ai pas de femme de ménage. Mais sur les vidéos que je vois, peut-être que le seul coin bien rangé de l’appart de l’instagrammeur ou instragrammeuse sert de décor aux vidéos mais qu’en dehors de ça, c’est le chaos. C’est le fameux placard de Monica. Je crois être la seule imparfaite dans un monde parfait mais c’est faux. Il y a toute une réalité que je ne connais pas.

La perfection n’est pas de ce monde

Alors il faut que je me détende du string sur le sujet. Déjà parce que la perfection n’est pas vraiment atteignable, malgré tous les efforts que nous pouvons faire. Déjà parce que les imprévus. Typiquement, durant mon dernier chômage, quand j’essayais de m’astreindre à une grosse discipline, j’ai été clouée au lit plusieurs fois par mon mal mystérieux de ventre. Alors oui, dormir n’aide pas à faire des choses mais est-ce vraiment la peine de se forcer quand on n’a pas l’énergie, au risque de faire mal ? Et d’un autre côté, faire mal n’est pas un drame. C’est même parfois une façon d’apprendre. Bon, si ça pouvait ne pas me coûter la peau du coude, ça m’arrangerait. Même si, en conséquence, je me suis achetée un clignotant de vélo… qui bippe. J’ai l’impression que mon vélo fait une blague sur la taille de mon fessier à chaque fois que je veux tourner, super expérience. Mais pour en revenir à l’essentiel : il est extrêmement rare de faire ne serait-ce que bien du premier coup et l’erreur te permet justement de repérer le truc à ne surtout pas faire. Ca peut faire mal, littéralement, ça peut entraîner un gaspillage. Ca peut fatiguer, décourager. Mais on ne peut pas ne pas en passer par là.

La fatigue de l'apprentissage
(c) Abbat

Faire à la perfection ou ne rien faire ?

Ce rendez-vous chez ma psy a eu lieu deux jours avant ma prise de poste et là, encore, mon obsession de perfection fait fort. Sur mon poste, il y a les choses que je sais déjà faire mais je dois monter en compétence sur d’autres. Normal surtout que je suis sur un secteur technique que je ne maîtrise pas. J’avais un peu de culture sur le sujet mais guère plus. Donc oui, y a deux ou trois trucs où je ne l’ai pas de suite et je fais des petites erreurs. Rien d’irréparable ou qui fera couler la boîte, je vous rassure. Quand ma cheffe me dit gentiment que j’ai oublié un truc, je peste. Alors que comme elle me dit “mais c’est normal, tu apprends… “ Oui mais je ne me laisse pas le temps de. La perfection ou rien. Et je finis souvent sur rien, d’ailleurs. Un exemple ? Le yoga. J’en faisais beaucoup puis j’ai arrêté. Manque de temps ? Oui mais surtout… j’arrive pas à faire le corbeau. Tout le monde passe cette étape mais pas moi, je suis terrifiée à l’idée de tomber et me faire mal. Du coup, je suis partie en mode “t’es trop nulle, lâche l’affaire” et c’est précisément ce que j’ai fait. Alors qu’en vrai, on s’en fout que je fasse pas le corbeau. Je fais une très belle barque, par contre.

On va se détendre du string

Bref, faut que je déconstruise ça. Comment ? Avec le yoga, peut-être ? Non, je sais pas, faut juste que je trouve comment me détendre et desserrer un peu les fesses, voyez ? J’écris parfois un journal pour me vider un peu mais je dois être attentive à ne pas tomber dans l’excès inverse, écrire des dizaines de lignes pour dire que je suis nulle, une ratée qui ne fera jamais rien de sa vie. Alors que je suis déjà arrivée à 43 ans avec pas mal de jolies choses donc bon, niveau vie ratée, on a connu pire. J’ai l’amour, des chats, un joli jardin, la santé et une peau du coude quasi reconstituée. Je crois même avoir enfin trouvé le boulot qu’il me fallait. Alors oui, sans doute que je ne ferai jamais le corbeau et que mon appart ne sera jamais digne de passer dans Maisons & travaux… déjà parce qu’une partie du salon est squattée par nos vélos. Je connaîtrai encore des vacances ratées, décevantes. Oui, je tomberai malade et ne ferai pas tout ce que je voulais faire car la fièvre. Ou le manque d’énergie. Mais qu’est-ce qu’il y a de grave là-dedans ? 

S'endormir en pleine activité
(c) Zohre Nemati

A l’écrire, cet impératif de perfection paraît absurde, n’est-ce pas. Et pourtant, je sais que dans quelques mois, il sera toujours là à me bouffer les nerfs. 

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