Le culte de la performance, le cancer du loisir
On utilise les grands mots ici, carrément. Mais c’est quelque chose qui m’exaspère pas mal. Et quelque chose dont je suis la première victime, au demeurant. J’ai une certaine passion pour les loisirs. Disons plutôt que dans ma vie gangrénée par le travail et ses absurdités, j’ai un besoin violent d’échappatoires, de loisirs. Ah oui, oubliez mon histoire à base de “mon boulot, ça va quand même”, on m’a poussée sur un toboggan vers l’enfer et je sais pas trop quand ça va se terminer. Ni où je vais atterrir. Mais peu importe, on va parler du culte de la performance. Et comment ça nous tue à petit feu.
Un besoin de loisirs
Les loisirs sont importants pour moi. J’ai besoin de créer, de m’exprimer. D’écrire, de faire du PowerPoint art et d’autres choses, parfois. Donner du joli à une vie sans relief particulier. Ce qui sort du métro-boulot-dodo. Voire l’embellit sur la partie métro avec de la lecture ou de l’écriture. J’aime accorder du temps à tout ça. Et j’ai du mal à m’astreindre à une réelle discipline sur le sujet. Parce que j’ai trop d’obligations par ailleurs. C’est typiquement ce que je dis à mon mec en vacances ou en RTT : je ne veux pas me presser. Je le fais trop au quotidien. C’est aussi pour ça que j’ai du mal à croire au métier-passion. A partir du moment où il y a une notion de performance, ça salit tout.
Difficile d’échapper au culte de la performance
Moi-même, je suis pas mal empreinte du culte de la performance. Comment peut-il en être autrement dans la société dans laquelle on évolue. Je chiffre et je traque. Les 10 000 pas par jour, 850 mots à écrire pour mon roman, une séance de ring fit. Idéalement, il faudrait aussi 7h de sommeil mais ça bugge toujours un peu, celui-là. A une époque, j’essayais de lire un certain nombre de pages par jour aussi mais j’ai arrêté cet objectif là. Parce que dans le tram, parfois, je repars en même temps que mes collègues donc je vais pas leur lire sous le nez. Et le livre papier que je lis le soir dans mon lit, je m’endors souvent avant d’avoir atteint l’objectif. Oui, manifestement, la quarantaine, ça t’empêche de te faire une nuit blanche “j’ai pas pu lâcher le livre”. Là, c’est plus, “je voulais vraiment lire mais je me suis assoupie et j’ai lâché le livre par accident… sur mon nez”. Real story, oui. Mais toutes ces données ne sont pas tant la volonté d’une performance que la volonté de mesurer ma bonne forme.
La vie avant la perf’
Depuis le début du mois de février, j’ai atteint mon objectif d’écriture deux fois. Deux fois en dix jours. D’un point de vue de la performance, c’est nul. Mais il y a des raisons à cela. La première étant que je suis pas mal préoccupée et déboussolée par ma situation pro. La deuxième, c’est que parfois, je fais autre chose. Des sorties ou une virée en amoureux pour l’anniversaire de mon mec. Oui, je vais pas me flageller pour ne pas avoir écrit les 850 mots le jour où je suis allée au spa, voyez… Pareil pour les 10 000 pas. J’ai lamentablement échoué à les faire jeudi, j’en ai fait environ 10%. Mais j’ai pas mal bossé, j’étais en télétravail et il pleuvait. Dans ces conditions, c’est même assez remarquable que j’ai dépassé les 1000 pas. Mesurer mes pas ou mon écriture, ce n’est pas tant pour me la ramener sur LinkedIn avec mes performances ou pour pondre un bouquin de développement personnel sur l’auto-discipline. C’est plus pour m’encourager à réserver du temps pour ces activités.
Pourquoi fais-tu les choses ?
Le culte de la performance me fait toujours douter du pourquoi des gens. C’est quoi leur motivation ? Pour en revenir à la lecture rapide, hors cadre d’études, je ne comprends pas qui a envie de s’adonner à ça. “J’ai lu 18 bouquins en trois jours”. Ok et ? Je lis actuellement quatre bouquins en même temps. Oui, je multiplie les formats : le livre papier au lit, le livre sur ma liseuse, un livre audio et un livre sur mon téléphone. Ca, c’est juste un jeu, c’est le livre que je lis au boulot quand je suis aux toilettes ou en attendant que le café coule, c’est le livre du temps perdu. J’adore lire et j’adore les histoires mais je ne ressens pas un besoin boulimique de lire. Et surtout, comme déjà dit, je ne lis pas un nombre de livre, je lis des livres en particulier. Et oui, j’aimerais lire plus dans l’absolu mais je n’ai pas envie de m’astreindre à ça. C’est un loisir, je dois kiffer.
Profiter au lieu de performer
Est-ce que le culte de la performance dans toutes les sphères de ta vie, c’est juste pour te faire remarquer ? Regardez tout ce que je lis, ohlala. Pareil pour le vélo. Facebook me pousse épisodiquement des contenus de groupes de cyclistes parce qu’apparemment, ça m’intéresse. Alors que moi, je reste à faire du vélo hollandais en mode “lalala”. Ma seule ambition, c’est d’avoir une bonne endurance pour faire de longues balades et arrêter d’avoir peur des voitures, c’est tout. De temps en temps, je vois passer des mecs (au masculin, vraiment) qui écrivent “oui, moi, j’ai une moyenne de 26 km/h”. Ecoute, moi, je vais à 15-16 km/h, passe devant, je t’en prie. Y en a un qui parlait de ça en mode “et à la fin, je suis fatigué” et tout le monde lui disait “bah, ralentis ??”. Ce que j’apprécie dans le déplacement vélo, c’est d’abord de prendre l’air, de voir la Garonne. Moi, je ne comprends pas les gens qui me doublent à toute allure sur le Pont de Pierre sans regarder ce qui s’étale sous leurs yeux. Je suis à CA, des fois, de m’arrêter juste pour prendre une photo. Prendre mon temps, c’est faire comme si je me promenais, juste. Pas que je suis en route pour le travail.
Regarde tout ce que je fais
Evidemment que l’on vit à une époque où l’on se doit de tout partager. Nos séances de running sur Strada, tous les livres que l’on lit avec une petite note, poster des critiques de films ou séries sur Sens Critique. Tout ce que l’on voit, mange, écoute sur Instagram, Facebook, Spotify… Sur le papier, la volonté de partage est intéressante. Je suis la première à pondre un article sur une série ou un film que j’aurais vu, surtout si j’ai aimé. Ou si j’ai détesté et que je suis fâchée d’avoir perdu mon temps. Mais je ne chronique pas tout. Je ne mentionne même pas certaines fictions que j’ai pu lire ou regarder parce que j’ai rien trouvé à en dire d’intéressant. Hé, vous avez vu Spiderman into the spiderverse ? C’était trop bien et vraiment magnifique. Oui, tout le monde l’a dit et avant moi, même. Même Barbie, je n’ai pas tant donné mon avis sur le film. Parce que je n’ai pas trouvé intérêt à le chroniquer vu tout ce qui avait déjà été dit. J’ai juste souligné deux ou trois trucs qui m’ont fait réagir et c’est limite plus autour du film que le film en lui-même.
Regarde comme j’ai bon goût, aussi
Est-ce que ce culte de la performance qui nous gangrène jusque dans nos loisirs, c’est pas cette éternelle course à être lae plus accompli·e possible ? Regardez tout ce que je lis, regarde, cours vite, ohlala. Un esprit sain dans un corps sain, admirez-moi. Regardez comme j’ai bon goût, j’écoute des artistes reconnus et appréciés de la bourgeoisie. Alors qu’en vrai, je partagerais ma playlist, ce sera un peu compliqué à envisager que je puisse enchaîner L’hiver de Vivaldi et Jaja d’Aya Nakamura sans trembler. Avec un Libérée, délivrée au milieu, du Tori Amos, du Björk, du Beethoven, du Agnes Obel. Jugez-moi sur mes goûts, ils n’ont aucun sens. Même littérairement parlant, je viens de terminer mon 2e Melissa da Costa et je prévois d’enchaîner avec un troisième parce que je sais toujours pas ce que j’en pense. Pas trop de mal, manifestement. Je me dis même qu’il faudrait que je lise un Musso parce que j’en ai lu qu’un y a presque 15 ans et que c’est pas juste de faire mon intello en tapant sur un mec dont je ne connais pas le travail. Et qui n’a pas l’air de raconter des histoires trop toxiques versus des After et autres merdes du genre.
Non à la flagellation
Bref, je suis un peu fatiguée de cette sensation de devoir toujours adopter des postures. Regardez tout ce que je fais, je suis si formidable ! Oui, à se demander comment tu fais pour avoir tant de temps à consacrer au partage de tout ce que tu fais vu le peu de temps qu’il te reste au quotidien. Pour ma part, je vais continuer à essayer de faire des trucs mais les jours où j’échoue parce que la fatigue ou le spa, je vais pas me flageller. Surtout si, à un moment, je tente le challenge des 7h de sommeil en semaine…