La lecture rapide, un avant-goût de l’enfer

La lecture rapide, un avant-goût de l’enfer

Et vraiment, je pèse mes mots. De temps en temps, je me pique à regarder des vidéos débunk de trucs un peu mystiques. Et je découvre des univers que je ne connaissais pas. Comme le lore français de la lecture rapide. Si ça vous intéresse, je vous laisse aller voir la vidéo de G. Milgram sur le sujet parce que je ne compte pas vous parler du côté arnaque et tout ça. Non, je veux vous parler de ma réaction face à cette histoire de lecture rapide. En résumé “mais pourquoi faire ça ?”

Pourquoi la lecture rapide ?
(c) Matias North

S’avaler une bibliographie en vitesse

Alors j’y vois un intérêt pour des études. Pour mes mémoires de master, j’ai lu je ne sais combien de bouquins pour donner chair à mon travail. Dans l’absolu, je ne me plains pas vu que j’adore apprendre des trucs. Mais y a des bouquins où j’ai pu réaliser un peu tard qu’ils ne m’étaient finalement pas d’une grande utilité. Mais de toute façon, comme je prenais des notes en lisant, collectant également des citations qui pourraient éventuellement m’être utile pour la rédaction de mon mémoire. Bref, la lecture rapide pour du bachotage, why not. D’ailleurs, j’avais eu une séance un peu sur le sujet en master mais ce n’était pas des techniques bizarres à base de vision périphérique ou je ne sais quoi. C’était plus “analysez le résumé et le sommaire, déjà, ça vous donnera une idée de ce dont vous avez besoin ou pas”. Un truc du genre. 

Compter les livres lus

Mais sinon, pourquoi la lecture rapide ? Dans la vidéo précitée, les afficionados de cette technique sont tous là “trop bien, j’ai lu 18 livres en un mois”. Perso, je ne lis pas 18 livres en un mois. Ou trente ou dix, ou trois. Je veux dire, je ne lis pas un nombre de livres. Je lis des histoires… Parler de lecture en mesurant un nombre déjà, ça me dépasse. Comprenez que j’adore lire ou écouter des histoires. J’ai même un blog où je ne parle que de ça. Ce qui m’intéresse, c’est l’évasion, la détente. L’exact opposé de ce culte à la performance où tout se mesure, se compare. Battre des records à tout prix. Mais j’ai pas envie de battre des records. J’ai juste envie d’oublier mes tracas quotidiens en vivant la vie d’autres personnages. Ou éventuellement apprendre des trucs, réfléchir. Mais en ce moment, j’ai moyen le chill.

Le cerveau n’est pas plus intelligent que nous

Comme on est beaucoup dans la sphère du développement personnel, je suppose que sur les 18 livres lus en 3 jours, y a beaucoup de conneries du genre. Selon ces personnes, ils savent ce qu’ils lisent, ils ont de bons résultats aux quizz qu’ils passent ensuite pour vérifier ce qu’ils ont retenu du livre. Ok mais, si on admet que la méthode fonctionne (déjà, bof), que reste-t-il un mois plus tard, un an plus tard ? Il m’arrive moi-même d’oublier certains romans que j’ai lus. Ce qui n’est jamais très bon signe en soi mais passons. Mais je ne vois pas comment tu peux réellement saisir ce que tu lis à la vitesse où c’est censé être exécuté. A y réfléchir, la lecture rapide, c’est la cousine des messages subliminaux. Un espèce de mythe à base de cerveau hyper intelligent qui agit par pur réflexe. Un texte apparaît. On le lit à la vitesse de l’éclair sans même nous en rendre compte. Heu… non ?

La lecture au bord de l'eau
(c) Bethany Laird

Chacun sa façon d’apprendre

C’est fou toutes ces vertus que l’on prête à notre cerveau, quand même. Oui, c’est une machinerie extraordinaire et sans doute sommes-nous loin d’avoir tout compris. Peut-être que nos méthodes d’apprentissage ne sont pas optimales. Même si j’ai tendance à penser qu’en grandissant, on capte ce qui fonctionne pour nous ou pas. Pour ma part, rien ne vaut l’écrit. Juste lire un livre, ça va m’apporter une culture mais apprendre d’un livre, il va falloir que je puisse gribouiller à un moment. C’est pas tant pour relire mes notes. J’écris vraiment mal donc la relecture de mes notes est souvent un exercice fastidieux. Par contre, le fait de vouloir prendre des notes m’oblige à être totalement concentrée sur ce que je lis. A activer mon cerveau pour qu’il soit attentif aux infos importantes qui pourraient en sortir. A l’époque où je croyais que le développement personnel allait changer ma vie, je lisais surtout des e-books dans le métro. Lieu pas propice du tout à la prise de notes. Et j’étais frustrée de ne pouvoir écrire ce qui me paraissait important, craignant que l’idée phare soit emportée dans le flot de mots. 

Mon imagination est survoltée

Je ne lis pas particulièrement vite aussi parce que mon cerveau est réactif. Je ne suis pas une lectrice passive. Quand je lis des romans, il peut se passer plusieurs choses :

  • Je devine un arc narratif. Réel ou supposé, attention. Je dois régulièrement faire le deuil de livres qui n’existent pas parce que mon cerveau a entrevu un chemin qui ne sera pas emprunté par l’auteurice. Et des fois, je trouve que c’est bien dommage et ça me donne envie de réécrire l’oeuvre.
  • Je m’agace de la stupidité des personnages. Surtout que je vois un peu souvent les ficelles narratives grossières où l’illogisme des personnages ne sert qu’à faire avancer l’intrigue ou à casser un couple parce qu’on préfère que Timothéo aille examiner les amygdales d’Evangela avec sa langue qu’à regarder la télé avec Loridana. Je suis dans ma période “inventer des prénoms”, oui.
  • C’est qui qui le tueur ? Non, ne cherche pas, laisse-toi surprendre ! Mais je pense que c’est le véto quand même. Non, trop évident. C’est forcément pas lui. Ou alors l’auteurice a fait genre que c’était évident pour qu’on pense ce que je suis en train de penser mais en vrai, oui, c’est bien lui.
  • Et souvent, je m’endors au bout de dix pages. Parfois, je me suis endormie entre deux phrases et mon cerveau m’a joué une scène un peu bizarre.

Imaginer ma future vie

Quand aux livres de développement personnel, je me prenais direct à rêver ma nouvelle vie. Nouvelle vie qui n’existera jamais car les livres de développement personnel te racontent souvent que qui veut peut sans prendre en compte les impératifs de la vie. Parce que j’ai beau vouloir tout plaquer pour ouvrir des mini-golfs et des salons de thé créatifs, la vérité, c’est que j’ai un appart à finir de payer. Et trop peu d’épargne pour tout cramer dans un rêve fou.

Pot à pourboire
(c) Sam Dan Truong

Vivre une autre vie

Je crois que c’est une bonne chose, d’être une lectrice réactive. Déchiffrer des mots n’est pas une activité épanouissante, en soi. Ce qu’il l’est, c’est le travail du cerveau qui met tout ça en image. Un roman, tu as des visages, des lieux qui se créent en fonction de ce que te raconte l’auteurice. Des fois, je ne respecte pas tout à fait le brief. Parce que des apparences me viennent spontanément et j’arrive pas à revenir dessus. Genre, pour l’effroyable After, l’héroïne est blonde avec des anglaises faites au fer à friser telle une héroïne de soap opera. Et moi, le seul visage qui me venait, c’était celui de Lea Michele. Alors que je n’avais jamais vu Glee à l’époque. Mais mon cerveau a fait ce cast là sans que je sache trop pourquoi. Mon cerveau me dessine des paysages fantastiques, des villes où j’ai envie d’aller parce que la plume de l’auteurice, couplée à mon imagination, me dessinent des choses magnifiques. Souvent irréelles. De la même façon, j’ai envie que les personnes qui me lisent, les trois, là, vivent ce genre d’expérience. Je ne veux pas être lue par des gens qui pensent que la lecture, c’est un empilement de lettres qui forment des mots.

Un prestige intellectuel

Evidemment, je m’interroge aussi sur le pourquoi de la lecture rapide et là, on en arrive plus à quelque chose de prestigieux. La lecture fait l’intellectuel. Alors on peut discuter de la réalité de cette assertion si vous voulez mais un.e intellectuel.le doit avoir une grosse bibliothèque. C’est le kit de base. Et souvent, l’intellectualité se mesure en fonction de ce que tu as lu et de combien tu as lu. Alors après, je ne crois pas que lire trente livres de développement personnel par jour ait le même crédit culturel que l’intégrale de Victor Hugo ou l’intégrale d’A la recherche du temps perdu. D’ailleurs, c’est amusant mais il me semble que dans la sphère de la lecture rapide, on parle de livres en terme de nombre de pages plutôt que de leur contenu. Mais va lire Ulysse de James Joyce en lecture rapide. Déjà qu’en lecture lente, je me suis souvent perdue… Le rapport à la lecture est toujours intéressant. Ma soeur, par exemple, complexe sur son peu d’appétit pour la lecture alors qu’une de mes amies, parlant lecture, me confessa un peu rougissante “moi, j’aime surtout la bite litt”. Et bah, écoute, si c’est ton kiff… 

Une belle bibliothèque
(c) Pawel Czerwinski

Lire par simple plaisir

La lecture ne devrait être ni une performance ni un check sur la liste des bonnes habitudes à avoir. Oui, je lis. De tout, du classique au polar en passant par les comédies romantiques et des essais. Mais c’est parce que j’aime ça et que ça me permet de répondre à deux de mes besoins qui sont l’évasion et assouvir ma curiosité. Des fois, je lis du Proust, des fois, je lis du Melissa da Costa. Et je me tâte vraiment à lire un des derniers Musso pour me refaire une idée plutôt que de me moquer avec la collégiale des « intellectuels ». Je lis parce que j’aime ça. Alors que je ne joue d’aucun instrument de musique, par exemple. Voici un idéal bourgeois que je n’ai pas. Mais je suis sûre qu’il existe une méthode infaillible pour jouer du piano en trois heures et que je deviens virtuose en deux jours.

Fais les choses par plaisir

Finalement, on en revient à cette question : pourquoi on fait les choses ? Par envie ou parce que c’est bien ? Reparlons du Miracle Morning et les « savers » avec le R pour reading. Reading des livres de développement personnel, hein. Stendhal, il va pas vous aider à devenir une meilleure version de vous-même. La lecture comme indispensable d’une rigoureuse hygiène de vie ? Mais… bof. La lecture, c’est pas quelque chose de bien ou de noble. C’est un loisir avant tout. Oui, à l’école, c’est un apprentissage. Mais j’ai aussi appris la flûte à bec ou le dessin, c’est pas pour autant que j’apprécie. Enfin, le dessin, c’est surtout que sans support numérique, je ne suis pas douée. Quant à la flûte à bec… Non. Tu veux lire ? Lis. Si tu n’y prends pas de plaisir, ne t’y astreins pas. Au pire, teste les livres audio. Mais il n’y a aucune honte à ne pas lire si ce n’est pas ton truc. 

Mon chat et un livre

Mais la lecture rapide m’a inspirée un autre sujet. Dont on parlera semaine prochaine !

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