Le talent n’est pas si rare

Le talent n’est pas si rare

On a vraiment une obsession malsaine pour le talent, je trouve. Appelez même ça les dons si vous voulez. Mais pour être honnête, ça m’a longtemps travaillée. Depuis le bouquin de Werber, L’Empire des anges, même. En très bref : le héros des thanatonautes meurt et devient ange-gardien. Il doit s’occuper de trois âmes : un soldat russe, une actrice américaine et un écrivain français qui ne paie pas de mine et écrit une saga sur les… rats. Oui, c’est très subtil cette mise en abyme, encore un qui est le héros de son roman. Bref, l’ange doit permettre aux Humains de s’accomplir. A l’heure de la mort de ses derniers, l’Ange est évalué et perd des points car l’actrice avait un réel don pour le dessin et il ne l’a pas poussée à le développer. Ah mais c’est criminel de gâcher le talent, c’est bien vrai. Sauf qu’aujourd’hui, j’ai pas mal changé d’avis.

Travailler son talent
(c) Elena Mozhvilo

Mon talent, c’est l’écriture

Depuis mon adolescence, on me reconnaît un talent très fort : l’écriture. Bon et quelques autres mais on s’en fout, c’est pas le sujet. Faut dire que l’écriture a une place importante dans ma vie depuis bien trente ans. J’écris beaucoup. Des fictions, des articles, des journaux intimes parfois. Faut que j’en relance un, d’ailleurs. Surtout pour bien graver la période de chômage qui se termine dans une semaine car se souvenir des downs, c’est important, aussi. Ca permet de se souvenir qu’à un moment, ça s’arrête. J’en ai parlé ici, certes, mais de façon un peu édulcorée. Il n’y a pas la colère, le ressentiment, les doutes violents, etc. Bref, j’écris. J’écris tout le temps. C’est mon loisir phare. Et par conséquent, je considérais normal que mon avenir professionnel soit lié à l’écriture. Je me suis rêvée journaliste-écrivaine, je ne suis ni l’une, ni l’autre. Peut-être que j’aurais été journaliste, par un jeu de réseaux, j’aurais pu devenir écrivaine. Mais j’avais un réseau assez intéressant lors des heures fastes de ce blog mais je ne l’ai pas cultivé. Deux éditeurs m’avaient contacté pour écrire le livre des vingtenaires, je n’en ai jamais écrit la moindre ligne. Bref, j’aurais pu être officiellement publiée si je m’étais un peu bougée, ça ne s’est pas fait. Et j’en suis la première fautive, hein. J’ai gâché mon talent, grrr.

Suis-je obligée d’investir dans mon talent ?

Sauf que. Est-ce que je suis vraiment obligée d’en faire quelque chose de ce talent. Ce que j’aime dans l’écriture, c’est écrire. Pas tellement être lue. Ca ne m’a pas beaucoup plu la promotion à faire autour de Green ! et j’ai pas particulièrement insisté. Vraiment, j’avais prévu de faire tellement plus. Mais je me suis vite épuisée par ce que je ne me sens pas tant légitime et qu’en plus, j’ai peur de saouler les gens avec ça. Et puis j’ai d’autres talents. Je chante bien et juste. Étonnamment juste pour quelqu’un qui n’a jamais fait de musique ou presque, apparemment. Je joue plutôt bien la comédie, aussi. Sauf que bon, moi, j’ai pas envie d’être chanteuse ou actrice. Actrice, déjà, j’ai pas trop le physique et chanteuse, j’ai pas une culture musicale assez poussée. Faudrait limite que je me dégote un mentor mais à 43 ans, ce ne sera clairement pas mon histoire. Et je le vis très bien. Si je reprends la comédie musicale en septembre ou même juste le théâtre, ce sera sans autre ambition que celle de me détendre. Et de me dépasser un peu. 

Passion photo

Je parle de moi parce que c’est un cas que je connais plutôt bien… et encore. Il y a des tas de domaines que j’ai peu ou pas exploré dans lesquels j’ai peut-être un incroyable talent, voire un don. Un mec m’avait dit un jour que j’avais un “oeil”, un talent pour la composition photo. Alors sachant que je prends beaucoup trop de photos, forcément, y en a quelques unes qui tombent bien. Là encore, j’ai pas d’ambitions particulières. Mes photos servent à  montrer aux gens les choses jolies que j’ai croisées parce que j’aime les jolies choses. Tiens idée d’article… Elles peuvent aussi me servir de mémo, en quelques sortes. “Ah, tiens, j’aime bien cet endroit, je pourrais m’en servir de décor pour un roman”, par exemple. Ou d’illustration pour un de mes blogs aussi. Et puis y a les photos pour faire mes petites histoires en story Instagram. Genre je dois avoir environ 300 photos des chats du quartier. J’avais très sérieusement envisagé un Instagram des chats de mon quartier puis le départ de Patoche m’a démotivée. Quoi qu’à la réflexion, cette idée n’est pas si con, d’autant qu’elle me permet de travailler ce talent-ci, mmm. Toujours pour le plaisir.

Un nuage sur la Dune

Que suis-je censée faire de mes talents

J’ai digressé. Donc : un individu, de multiples talents. Toi, moi, nous et tous ceux qui le veulent. On a tous des talents. Au pluriel, j’insiste. La question que je me pose est : pourquoi est-on censé en faire quelque chose ? En faire quelque chose au sens capitaliste du terme, évidemment. Parce que c’est de ça dont il s’agit. On doit faire fructifier son ou ses talents. Sinon, ça ne compte pas. C’est pour ça que je vous ai mis la tartine sur l’écriture plus haut. J’ai un talent d’écriture mais personne ne le reconnaîtra si je ne transforme pas ça en monnaie. C’est l’alpha et l’omega du talent consacré. Regardez les commentaires sous n’importe quelle critique de chanson, de film… “Gna gna gna, les rageux, facile de critiquer mais vous seriez incapables de faire pareil !”. C’est vrai. Je ne sais pas réaliser un film et je suis infoutue de composer la moindre musique. Même écrire une chanson, je garantis moyen. Pour mon spectacle de comédie musicale, j’ai écrit un texte sur Fighter de Christina Aguilera. J’ai choisi cette chanson et j’avais bossé à partir du nombre de pieds, reprenant plus ou moins les rimes pour faciliter l’interprétation. Ca n’a pas été suffisant. Il a fallu que je réécrive plusieurs fois les paroles pour que l’on puisse consonner à mort. Mais c’est pas parce que je ne suis ni compositrice ni parolière que je ne peux pas souligner qu’une chanson est mauvaise ou un film raté. Ces produits culturels sont faits pour un public dont je peux faire partie et je peux m’énerver quand je tombe sur des triches d’écriture, par exemple. Ou qu’un parolier a réglé la question des rimes en répétant les mêmes mots ou en mettant “-euh” à la fin de chaque mot. 

Les artistes, ces petits êtres de Lumière

Ainsi, si le talent existe en dehors de sa monétisation, pourquoi ceux qui en font leur métier sont considérés en quelque sorte comme bénis des Dieux. De petits êtres rares qui bénéficient d’une plus grande tolérance de la part de la société. Enfin surtout les mecs. Parce que des actrices piquées à voler, c’est fin de carrière pour elles. Alors que ceux qui dessinent des enfants se faire violer, non, c’est cool, c’est subversif. J’ai fait tout un article sur le talent qui ne doit pas tout excuser, je vais pas reprendre tout ici. Mais on en arrive à mon argument massue : le talent n’est pas si rare qu’on veut bien nous le faire croire. Parce qu’il existe des gens talentueux qui n’ont pas eu la part de chance pour réussir. Ou le réseau. Ou le physique. Surtout pour les femmes, encore et toujours. Pourtant, je suis à peu près persuadée qu’autour de vous, vous avez tous une personne talentueuse qui a tenté de percer mais qui a échoué. Cette personne à la voix en or. Ou celle qui vous met les poils dès qu’iel monte sur scène jouer un personnage. Des qui sont bien meilleurs certainement que ceux que vous entendez en boucle à la radio ou qui sont désormais incontournables au cinéma alors qu’iels ne jouent pas très bien. Combien de fois j’ai fait la moue en lisant un roman que je trouvais mal fagoté en me disant que, merde, moi, j’arrive pas à me faire publier alors que mon premier jet est bien meilleur que ça. Vraiment objectivement, des fois, je ne comprends pas… 

Faire fructifier son talent… ou pas

Bref, le talent n’est pas une denrée rare, à la base. Evidemment, il y a ce que l’on en fait. Le travailler ou non, le réserver pour nos loisirs, en faire une carrière. Avoir la chance d’être découvert·e, d’avoir le bon réseau… Mais le talent ne rend personne irremplaçable. Prenez n’importe quel grand artiste, il a toujours eu des pairs et sa mort ne marque pas l’arrêt de son art. On peut regretter la disparition d’un artiste parce qu’on aimait ce qu’il faisait. J’adore le travail de Freddy Mercury ou Mucha. Je ne rate aucun Wes Anderson alors que je suis pas la meuf la plus cinéphile du monde. J’ai une admiration sans borne pour la plume de Moravia. Mais même parmi tous ces gens cités, déjà, je ne trouve pas que toutes leurs œuvres soient des chefs d’œuvre. Et ce sont des goûts très subjectifs, je ne crois pas qu’ils fassent l’unanimité. Même en terme de talent, je suis certaine qu’on trouvera toujours quelqu’un pour dire qu’il ou elle est surcôté·e, quel que soit l’artiste dont on parle. Et pour un Freddy Mercury qui a percé, combien de mecs aussi talentueux avec un univers aussi fou sont restés dans l’ombre. 

Un musicien dans le noir
(c) Sebastian Radu

Le talent ne se gâche pas

Bref, on peut reconnaître le talent d’une personne et même le travail abattu pour arriver au sommet de son art ou à peu près. Mais ces personnes ne sont pas des demi-Dieux ou des demi-déesses. Aucun d’entre eux, aucune d’entre elles. Alors si un de ses artistes fait de la merde, on ne lui cherche aucune circonstance atténuante. Surtout pas celle du talent parce que non, ce n’est pas si rare. Et si vous-mêmes, vous n’avez pas envie d’exploiter votre talent ou de le monnayer… Surtout ne le faites pas. Vous ne gâcherez rien, promis. 

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