Est-ce que je mérite un meilleur job ?

Est-ce que je mérite un meilleur job ?

C’est la question qui m’a turlupinée pendant ma semaine Covid, alors que le projet de démission se faisait de plus en plus prégnant. A la question “mais pourquoi je reste à subir tout ce stress ?” répondait une autre question. Plus douloureuse. Celle-ci “Non mais tu te prends pour qui pour penser que tu ne dois pas jouer avec les mêmes règles que les autres”. Violent, quand même. Mais très symptomatique d’une façon de penser acquise : le travail est une souffrance et ceux qui prétendent faire un travail passion sont des putain de privilégiés. Qui suis-je pour prétendre vouloir un meilleur job, hein ?

Trouver un meilleur job
(c) Brooke Cagle

Quelques angoisses à dégager

Je suis la somme de mes traumatismes pro, je l’ai dit. Actuellement, je suis vraiment en train d’envisager de consulter un psy spécialisé dans le monde du travail. Parce que j’ai peur que cette master pensée limitante à base de “le travail est une souffrance” m’empêche de m’investir pleinement dans le bilan de compétences. Je m’y implique, je le fais sérieusement mais au moment de choisir ma voie, j’ai peur d’un trop plein de pragmatisme. En gros faire le choix du moindre risque, même si ça ne me plaît pas de fou. Et puis consulter un psy du travail, ça me permettrait de décaniller quelques “acquis” de type “je suis une impostrice”, “je n’en ai pas fait assez”, “oui mais là, je travaille sur mon temps libre car cet après-midi, j’ai passé trente minutes à papillonner”. Le pire, c’est que j’ai des contre-arguments, des contre-arguments très concrets. Comme le fait qu’il est absolument impossible d’être à fond 8h par jour, par exemple. Mais la rationalité face à l’anxiété, ça pèse pas lourd. 

La pression sociale est forte

Outre mes traumatismes pro, il y a aussi la pression sociétale. Il FAUT travailler. Participer à l’effort collectif. Sur ce point, je n’ai pas de contre-arguments et d’ailleurs, mon projet est de retourner sur le marché du travail dès que possible. Mais cela sous-tend une autre injonction : celle de subir en silence. Ton travail est pénible, tu es en train d’y perdre ta santé physique et mentale ? Et oui mais faut bien manger ! A celà se rajoute une autre injonction : celle de la réussite. Comprenez : j’ai un bac+5, je dois me placer haut sur l’échelle sociétale. Faire un travail intellectuel, aussi. Sur ce point, ricanement : mon métier, c’est du bullshit. Mon intellect sert surtout à jeter de la poudre aux yeux de mes clients pour leur faire croire que je suis en totale maîtrise de mon sujet alors que pas du tout. On sort d’un ton docte des explications foirées pour justifier que les gens achètent moins cette année que l’an dernier de type “avant, y avait les confinements” puis “y a la guerre, l’inflation, les élections”. Notez que c’est vrai mais y a aussi une autre vérité qu’on ne peut pas sortir telle quelle : “les gens s’en foutent de ta marque, ils ne se lèvent pas en se disant qu’ils doivent te générer du CA”. Bref, mon métier, c’est bien plus du théâtre que de l’intellect.

Le monde du travail est un théâtre
(c) René Ranisch

Une première rupture qui facilite la prise de décision

En vrai, j’ai eu la chance d’avoir une première “rupture” dans mon parcours. Dans mon précédent job, j’avais un titre de “responsable” ou “head of” comme on dit quand on aime filer des titre anglais dans des boîtes où on spike peu ou pas l’engliche. Mon salaire annuel commençait par un 5 et mon salaire net après impôt commençait par un 3. Certes, je n’étais pas la Reine du Monde mais ça me suffisait. En arrivant à Bordeaux, le s’est transformé en grand 3 et le 3 en petit 2. Et je n’étais plus responsable de rien, même plus cadre. Petit déclassement quand même. En vrai, ça reste absolument suffisant pour vivre et épargner mais je crois que cette première concession sur l’échelle de la réussite m’a permis de prendre la décision de repartir de plus bas ailleurs. J’avais déjà cassé la belle histoire alors bon…

J’ai la chance de pouvoir le faire, alors…

Mais quand même. Ma décision garde le goût du caprice. Celui de ceux qui ne manquent de rien et peuvent se permettre des métiers plus ou moins ésotériques. Ceux que j’ai pas mal jugé par le passé… peut-être par jalousie ? Je deviendrais cette personne que j’ai tant méprisée, qui part faire une reconversion et va ouvrir un énième cabinet de je ne sais quoi un peu parallèle ? Pour qui te prends-tu ? Sauf que… Je peux le faire, en fait. Les calculs sont bons. Je suis à un point de ma vie où je peux le faire. Prendre du temps pour moi, pour restaurer ma confiance en moi, retrouver un peu de sens dans mon travail. Ma carrière, je ne l’ai pas choisie. 15 ans de fuite en avant dans un métier que j’ai toujours méprisé mais “qui paie bien”. 15 ans à me dire que c’est pas grave, que j’accepte de sacrifier 8h par jour de ma vie pour pouvoir m’offrir des vacances et des loisirs. Sauf que le calcul n’était pas si bon. Mon travail débordait de ces 8h. Parfois effectivement, parfois juste mentalement. 

J’ai droit à un meilleur job, alors ?

Alors est-ce que je mérite de partir à la quête d’un meilleur job ? Aka un job qui ne me mine pas 8h par jour et qui me permet de vivre une seconde vie derrière ? Celle d’une écrivaine prolixe, d’une Powerpoint artiste de plus en plus habile, d’une modeste e-boutiquière qui est fière de vendre quelques petites bricoles, d’une photographe de Playmo, de… La question est mal posée. On mérite tous un meilleur job, dans l’absolu. Dans un monde parfait où le revenu minimum permettrait la survie sans angoisse, on aurait tous un meilleur job et je ne cesse de rêver de ce monde. Celui où on pourrait tous être un peu artistes bohèmes pour ceux qui aiment ça. Je ne le mérite pas plus qu’un.e autre mais je peux le faire, en fait. Et j’ai le droit de cesser de souffrir parce que je me plie à un système de pensées foutrement libéro-capitaliste, à l’opposé de mes valeurs. Je ne sais pas ce que sera mon futur meilleur job. J’envisage même dans un coin de ma tête de refaire du community management en freelance si jamais… Mais au moins, je ne me reprocherai plus de ne pas avoir cherché. Ce bilan de compétence, ça faisait bien cinq ans que j’en parlais sans sauter le pas. A présent, on y va, on est partis. Et c’est vraiment un chemin intéressant.

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