Ciel, je serais pas un peu égoïste ?
Je suis pas mal ambivalente sur l’image que j’ai de moi. Je me juge souvent très durement. Inutilement durement, même. Mais je me prête quelques qualités. Genre j’écris bien, je suis rigolote et… je suis altruiste. Ah oui, j’ai envie d’aider les gens, de faire une différence. Sauf que… qu’est-ce que je fais précisément ? Je donne de l’argent. Le temps, c’est plus compliqué. Tu comprends, le travail, ça m’occupe. OK, admettons. Quand j’ai commencé mon bilan de compétences, je m’imaginais trouver un projet qui changerait la donne, vraiment. Et… ce n’est pas ce qu’il s’est passé. Ciel, serais-je égoïste ?
Je voudrais bien aider le gens
Mon bilan de compétences avance, les séances s’enchaînent. Au début, sky was the limit, je m’imaginais dans plein de rôles. Un, notamment : coach emploi spécialisée dans l’empowerment féminin. Allez les meufs, on va foutre le feu au monde du travail, ouais ! Bon, au vu de mon point de vue sur le travail, je ne suis pas certaine… Mieux vaut que je me colle dans un syndicat. Syndicat féminin non-mixte dans l’idéal. Je réfléchis un peu à mes idéaux et déjà, ça bafouille un peu. J’ai envie d’aider les femmes, les enfants, les pauvres, bosser sur l’écologie… En vrai, vous savez quel est le principal frein à mon engagement militant ? J’arrive pas à me décider pour une cause. Et les partis politiques me décevant un matin sur deux… Bref.
Ma carrière s’éloigne de l’idéal altruiste
Arrive l’étape de la sélection métier. Je lance un moteur qui scrolle des métiers en fonction des moteurs que j’ai renseignés. Les moteurs, ce sont des verbes qui doivent composer mon futur métier. Comme analyser, chercher… Déjà mes moteurs sont pas mal autocentrés. J’avais mis “aider” il me semble et je me retrouvais avec des résultats exotiques de type “sophrologue”, “hypnothérapeute” ou “sexologue”. Alors autant j’ai notion que tout ce qui est hypno, sophro, ça peut être utilisé par des gens qui ont une baisse de régime mais ne se trouvent pas légitime à aller voir un psy. Moi même, j’y suis allée pour ça et au bout de quelques séances, j’étais remise sur les rails. Mais je ne dois pas confondre mon expérience avec la généralité. Je ne peux pas exercer un métier auquel je ne crois pas juste parce que je pars du principe que les gens viennent là parce qu’ils ont juste besoin d’une béquille. Certains croient en la pensée magique, ce serait la base de mon gagne-pain et moi, j’y crois pas… Dissonance cognitive au maximum. Quant à sexologue, j’aime bien parler de sexe et je pense qu’il y a beaucoup à dire et à faire pour une déconstruction de la sexualité patriarcale mais… entendre des gens me raconter leur sexualité tous les jours avec très certainement des trucs cringes… Je ne parle pas de pratique en soi, chacun fait ce qu’il veut. Le cringe, je le situe plutôt dans le “mais votre femme n’est pas vraiment consentante, vous en avez conscience ?”.
Fouler le chemin de la RSE
Je retiens donc un seul métier “altruiste”, la RSE. Dans mes trois métiers d’enquête, j’ai donc la data, la rédaction web et la RSE. La RSE, responsabilité sociale des entreprises, c’est donc comment aider les entreprises à entamer des démarches pour devenir plus sociales et environnementalo-friendly. En très gros. Ah oui, ça sonne bien, ça. Ca reste une goutte d’eau dans l’océan de pollution mais faut bien commencer quelque part. Je commence donc à me renseigner et un discours sonne fort à mes oreilles “ne t’attends pas à changer le monde”. Et surtout une crainte ; j’ai pas envie de servir un quelconque greenwashing. Je suis absolument persuadée que chez Total, t’as tout un service RSE, par exemple. Et je ne veux pas être un tampon bonne conscience. Je crois que ce serait même pire que tout. J’ai une vision déjà bien pourrie du monde du travail, je n’ai pas besoin que l’on nourrisse mon cynisme à ce sujet.
J’ai trouvé ma voie
Alors me voici partie dans la data. Je vous cache pas qu’à manier du SQL all day long, j’y trouve un certain plaisir. Je retrouve le plaisir simple de mon adolescence, pendant les cours de maths. J’adorais les maths au lycée parce que trouver X avait tout d’un jeu, pour moi. J’avais une équation à résoudre et il y avait une joie simple de trouver le résultat. Là, j’avoue que quand je vois le résultat de ma requête s’afficher, je me sens un peu puissante. Même si j’ai dû m’y reprendre à dix fois parce que je fais des fautes de syntaxe et oublie toujours une foutue virgule. Je pense vraiment être sur la bonne voie… pour moi. Moi, moi, moi. Et ce petit bilan de compétences m’interroge : finalement, est-ce que je ne suis pas un peu égoïste ?
Ma voie, c’est que pour ma pomme
Oui, évidemment que je suis égoïste. Mais pas dans le sens dans lequel je l’entends au début de cet article. Oui, parmi les différentes voies, j’ai choisi la plus facile. Dans le sens où j’aurai du boulot derrière et un salaire sympa, j’entends. Parce que le SQL, faut un peu se concentrer quand même. Et passer côté data me sort du front et du feu. Personne ne va me stresser pour faire les choses en deux minutes ou m’engueuler parce que les ventes ne suivent pas les prévisions. Mais les génies du forecast n’avaient pas prévu l’inflation, gars, je suis censée faire quoi ? Presque, ça ferait l’objet d’un bon article sur Citizen, ça. Mmm. La data, ça ne se fait pas dans l’urgence. Bref, j’espère tomber dans un job un peu peinard qui va quand même stimuler mes neurones et si j’arrive à mon objectif ultime, l’insight analyse, je vais même apprendre des trucs sur la société régulièrement. Yeah. Ce métier colle parfaitement à ce que je veux, moi. Ce qui me plaît, à moi. Mais reste que ma seule contribution à la société, ce sont mes impôts et mes donations. Le fric, quoi.
Un employeur qui change la donne ?
Mais est-ce si grave, finalement ? Déjà, je n’ai pas encore lancé la dernière partie, la plus importante : mon futur employeur. Oui, mon futur emploi se fera peut-être pour une entreprise qui va avoir besoin de mon jus de cerveau pour limiter le churn de ses clients donc les pousser à consommer plus, plus, plus. Mais peut-être que je réussirai à mettre mon jus de cerveau au service d’une ONG ou d’un service public ou je ne sais quoi. Même si mon alerte cynique ne cesse de raisonner dans mon cerveau en mode “l’altruisme n’existe pas dans le monde du travail”. Même les ONG, tout ça, j’ai toujours la sensation désagréable que c’est juste un tremplin pour une carrière politique. Et j’ai pas envie d’être partie intégrante du marchepied de mon futur responsable, voyez ? Oui, la politique est une sphère importante à toucher pour faire changer les choses, ok. Mais je trouve que ça manque de droiture dans les bottes en ce moment. On abandonne vite les jolis discours dès qu’il s’agit de sauver la tête du lieutenant.
Cynique moi ? Absolument
En fait, ce bilan de compétences m’a permis de réaliser que… j’ai une vision très cynique du monde du travail, certes. C’est pas nouveau. Mais aussi que dans ma tête, je n’emboîte pas les pièces “travail” et “altruisme” ensemble. Même si je sais que c’est possible, y a de très nombreux travailleurs sociaux qui ont pu faire changer les choses à leur niveau et je leur cracherais au visage en prétendant le contraire. En vérité, au-delà du cynisme, il y a sans doute la peur. Celle que malgré tes idéaux, ton énergie et ta rage, rien ne change vraiment. La sensation d’une partie qu’on ne gagnera jamais. C’est peut-être pas juste le monde du travail qui me rend cynique mais la société ultra-libérale et mortifère dans laquelle on évolue. Et je n’ai pas trouvé comment essayer d’être un petit rouage pour changer ça. Mais le bilan de compétences m’a permis de réaliser que ce n’était pas dans le travail que je cherche la solution.
One Reply to “Ciel, je serais pas un peu égoïste ?”
C’est marrant de voir ton cheminement car personnellement, j’ai toujours eu une vision très utilitaire du travail. Depuis quelques années, je commence à « m’engager » un peu, dans l’associatif ou en faisant des petites choses autour de chez moi, parce que je me sens capable de le faire maintenant (ce qui était pas le cas avant). Il y a plein de façons d’aider (car malheureusement il y a plein de problèmes), suivant ce qu’on peut et sait faire, le temps et la disponibilité mentale qu’on a etc…
Ca peut aussi être donner des cours de français à des étrangers, de l’aide aux devoirs, aider à remplir des papiers, faire du tri de dons de vêtements dans une assos, être bénévole dans un refuge…ça peut aussi être des choses plus légères du style être bénévole pendant un marathon ou participer à un conseil de quartier (super important, il y a souvent que des personnes d’un certain âge pro-bagnoles qui y assistent)…bref je suis certaine que tout comme pour le travail, tu trouveras ta voie 🙂