Quelle place pour le ressentiment ?

Quelle place pour le ressentiment ?

La question qui tue. Comment ça va, vous ? La rentrée se passe bien ? Moi ça va au global. Aller de l’avant, c’est mon grand talent. Certains diront que j’excelle surtout dans la fuite en avant mais peu importe. J’essaie de bâtir ma nouvelle vie professionnelle, pierre après pierre. Mais malgré ce grand élan en avant, j’ai comme un arrière-goût amer qui vient m’agacer, là. C’est quoi ? Ah, c’est le ressentiment. C’est dégueu comme une réglisse frelatée mais une fois que t’as eu le goût, c’est hard de s’en débarrasser. 

Un ressentiment, comme un goût de mauvaise réglisse
(c) Erwan Hesry

Passion refaire le match

Quand on liste nos talents, on se focus toujours sur les trucs cools. Hey, je fais des jolis dessins, j’ai une belle plume, j’ai une grâce innée, je perçois bien les gens… choisissez vos cordes. Cordes à vos arcs, hein. On a tous des talents, même ceux qui n’en ont pas conscience. Mais on a aussi de belles  capacités à s’auto-mettre la tête dans le sable et on gâche de l’énergie à se sortir de là. Moi, par exemple, j’excelle dans l’art de refaire le match. A l’extrême. On a tous cette tendance à morigéner un échange tendu. Vous savez, quand vous rejoue la scène dans votre tête et que vous soufflez « mais j’aurais trop dû dire ça ». Hé oui mais la vie n’est pas un film ou une série nulle : personne ne s’exprime en punchline, surtout dans un contexte tendu. Dans nos têtes, on rejoue la scène et nous voici superbes et verbeux, crachant des vérités violentes qui sonnent si juste que l’autre est soufflé. En vrai on a juste sorti un « m… m… mais, euh ! » bégayant ou à peu près. L’émotion, surtout intense, ça paralyse un peu la langue. Ça et le fait que vous voulez être sympa, ne pas blesser. Ne pas ruiner une amitié ou autre relation que vous appréciez par ailleurs en allant trop loin. 

J’aurais dû mieux faire

J’ai démissionné n’importe comment. Voilà. J’ai envie de vous dire « ne faites pas comme moi ». Sur le coup, j’ai été bien soulagée de savoir que ça allait être bientôt fini. Mais quand l’imprévu a surgi, j’ai eu une nouvelle Nemesis. Aurélia, mon ex DG. Et un peu mes ex N+1 et N+2 mais entre une qui est partie en congé mat’ une semaine après mon arrivée (en me laissant un cadeau puant direct) et celle qui n’est pas très futée, bon. Aurélia, je l’ai jamais vraiment appréciée, elle m’a toujours mise un peu mal à l’aise. Disons qu’elle avait un réflexe de bashing assez désagréable qui ruinait toute tentative de small talk. C’est à elle que j’ai annoncé que j’allais partir. J’ai demandé une rupture conventionnelle vu que je n’étais là que depuis trois mois et que ça ne leur coûterait rien. Je ne l’ai pas eue. Mais j’étais tellement pressée de partir que j’ai démissionné. Tant pis. Sauf que l’addition se révèle assez salée pour moi finalement. J’aurais dû résister, ne pas poser ma dém et les pousser à me dégager. Parce que si ça s’est mal passé c’est quand même bien leur faute. Ils m’ont abandonnée, ont fait genre que tout allait bien alors qu’ils savaient que ça n’allait pas. J’aurais dû, ils auraient dû, j’aurais dû, ils auraient dû. Ad. libitum.

Quand le ressentiment te lâche pas

Oh oui, j’ai pataugé dans le ressentiment. Littéralement. Quand je courais dans le lac, je connaissais quelques pointes au fur et à mesure que je m’énervais. Je refaisais le match et cette fois, je ne retenais pas mes coups. Ah, j’ai été bien conne d’avoir été si arrangeante, d’arrondir la vérité en espérant en tirer un bénéfice. Ahlala ! Alors oui, j’ai pas géré correctement mais… le match est fini. Il n’y aura pas de belle. J’ai pris une mauvaise décision, je ne peux plus revenir dessus. J’en ai parlé à ma coach emploi qui m’a arrêté direct “non mais laisse ça de côté, t’en feras rien”. Et force est de constater qu’elle a raison. Là, je joue un nouveau match, celui de ma reconversion. Et il est compliqué. Pas tant pour la partie apprentissage, je me régale. Apprendre de nouveaux trucs, mon petit kif. Mais j’ai une nouvelle adversaire, bien plus retorse qu’Aurélia : mon angoisse. Je balise pour l’argent alors qu’il me reste très largement de quoi tenir au moins un an. Oui, mon chômage est pas mal sponsorisé par la crise Covid qui m’a permis de faire de sacrées économies. Ma peur de pas trouver un job, aussi. Au point que parfois, je suis à ça de postuler pour mon ancien taf. Heureusement, je lis l’annonce et je suis déjà épuisée rien qu’à l’idée d’y retourner. 

Essayer n'est pas toujours gagner
(c) Priscilla du Preez

J’ai bien mieux à faire que de ressasser

Il me faut donc toute mon énergie. Pour réussir ma formation, pour réapprendre à me servir d’Illustrator pour faire des infographies plus stylées que Zendaya. Je lambine là-dessus… Continuer à interroger des gens, histoire d’étoffer mon réseau. Je garde une part de mon énergie pour le sport et une activité extra-professionnelle. La chorale, à priori. Et l’écriture aussi, faut que je m’y remette, ohlala. Bref, mon énergie étant limitée et déjà attribuée, je n’ai pas une once de nanojoule à accorder à Aurélia et mon ressentiment. En théorie. Parce que bon, suffit pas de dire “maintenant, je passe à autre chose” pour que ça disparaisse. Mon ressentiment, il m’attaque quand je m’y attends pas. Il me susurre que ce serait chouette qu’Aurélia tombe de son trône. Que je serais là à lui jeter des miettes de pain en ricanant. Ce qui est faux, au demeurant. J’en ai connu, des chefs ou cheffes qui m’ont un peu plus brisée à chaque fois, et qui ont violemment raté une marche à un moment. Et non, ça ne me fait pas plaisir. Ca ne me fait rien. Mais le ressentiment, il aime me raconter des fables pour que je lui redonne de la puissance.

Il faut que le temps fasse son œuvre

Je sais que je n’ai in fine qu’un seul véritable allié dans l’affaire : le temps. Je n’ai pas la rancune tenace. Surtout que j’ai un sacré challenge à relever, qui prend pas mal de temps et de place dans ma vie. Tant mieux. Mais en attendant… j’ai peut-être une arme. Le journal intime. Enfin, appelez ça comme vous voulez. J’ai plutôt envie d’appeler ça un journal de fantaisie. Positives ou négatives. Un journal où j’écris aux gens des lettres qu’ils ne recevront jamais, par exemple. Des scènes qui ne se passeront pas. Mais y a un double effet kiss kool. D’abord, je dis ce que j’ai à dire avec ma plume la plus acérée. Plus de “j…j…je…euh… Bon.” Et mon cerveau s’en satisfait carrément. Y a vraiment une sensation de soulagement, de “bon, j’ai posé mon petit tas de merde ici, je passe à autre chose”. Et en plus, y aura peut-être un peu de matière à récupérer pour un roman ou un autre. A noter que le cahier de fantaisie peut contenir aussi de jolies choses, hein… Pas simplement l’éternelle litanie des gna gna gna.

Journal intime pour dire ce que l'on n'a jamais osé dire
(c) Marc Shaefer

Bref, il est temps d’aller de l’avant. Mon erreur n’est plus réparable donc inutile d’y revenir dessus. Et je dois apprendre le SQL, alors… Bonne semaine !

 

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