Oui, on a le droit d’admettre qu’on va mal

Oui, on a le droit d’admettre qu’on va mal

Cet article ne parlera pas particulièrement de moi. Je veux parler de l’injonction à toujours aller bien, à positiver et non me plaindre. Parce que si on considère que j’ai perdu mon job et mon chat adoré en à peine trois mois et que j’ai eu droit à une réplique de la préménopause, et bien… ça va pas si mal. Je ne chante pas la vie, hein. Mais j’écris, je fais plein d’aquagym, je vais à la mer. Je fais même une initiation à Python. Donc non, je ne vais pas vous crier que ça va mal parce qu’en vrai, ça passe. A dire vrai, mon chat ne serait pas mort, je serais très zen par rapport au reste. Bref, aujourd’hui, j’affirme : oui, on a le droit d’admettre qu’on va mal.

Une femme le dos tourné, regarde le paysage, inspiration mélancolique. Avouer que l'on va mal
(c) Fariba GH

Il y a quelques années, j’ai lu “​Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens” dans lequel il était expliqué que le mensonge le plus répandu, c’est de répondre “oui” à la question “est-ce que ça va ?”. Enfin, il me semble que c’était dans ce livre. Effectivement, je me vois mal répondre “non” selon la personne qui demande. J’ai répondu “bof” à mon hypnothérapeute avant de pleurer pendant une heure. C’était la première séance post-décès de ma méméchat. Mais la plupart du temps, cet été, quand on me demandait si ça allait, je disais “oui, oui”. En même temps, étais-je censée parler de mon chat à mon conseiller APEC ? Non, je ne pense pas. Même Marion Cotillard, elle répond qu’elle va bien quand elle pense « je vais te faire bouffer ton sourire hypocrite, connasse ».

Evidemment qu’on ne va pas raconter sa vie à des personnes éloignées de notre cercle amical. Moi même, j’avoue, si quelqu’un que je connais peu me répond “non” quand je lui demande si ça va, je vais buguer un peu. Dans le sens où je ne m’y attendrais pas, pour l’essentiel.  Après, comme je suis une personne sympathique, c’est déjà arrivé que des gens que je connais peu se confient à moi. Mais ce n’est pas la norme. Par contre, garder une réserve vis-à-vis des gens que l’on connaît peu ne devrait pas nous dispenser d’admettre qu’on va mal avec les proches.

Un visage de femme en gros plan, elle a l'air triste, photo en noir et blanc
(c) Emiliano Vittoriosi

Vous allez me dire que personne n’empêche personne de raconter ce qui ne va pas. Sauf que je trouve ça un peu discutable. D’abord, vous avez toujours l’apôtre du positif qui te dit “roh, ça va, y a pire”. Ah, oui, c’est sûr qu’il y a toujours pire. N’importe quel Gazaoui échangerait sa place avec la mienne avec grand enthousiasme. Mais déjà… Pardon mais c’est une réponse de merde de psychopathe dénué de toute empathie. Je veux dire, je suis au courant des guerres, des famines… Je suis un peu l’actu quand même. Mais je vous assure que le fait que des gens sont morts dans un bombardement n’atténue pas la peine que je ressens pour la perte de mon petit chat. En fait, les deux choses n’ont rien à voir et ce n’est pas un argument. Pourtant, que celui qui n’a jamais eu droit à ça se signale… Hé oui, il y a parfois des drames qui ne semblent pas si importants, pas si graves. Mais si quelqu’un commence à vous dire que ça va pas, le renvoyer en estimant que son problème n’en est pas un, c’est limite de la cruauté.

Et puis vous avez toute la sphère développement personnel au sens très large du terme. Moi même, en tant que stakhanoviste du positif, j’essaie de rentabiliser ma lose, de me dire que c’était un mal pour un bien. Typiquement, la fin de mon dernier contrat… Ca fait chier parce que c’est pas ce que j’avais prévu mais ça va me permettre de retenter ma chance dans la data analyse. Et surtout… En vrai, je détestais cette boîte et j’avais prévu de démissionner en rentrant de Nouvelle-Zélande en novembre. L’été dernier, on avait fantasmé pendant une heure avec un collègue sur un licenciement économique, se disant que c’était la meilleure issue. En vrai de vrai, la première chose que j’ai pensé quand j’ai pris le tsunami dans la tronche, ça a littéralement été “Merde, la Nouvelle-Zélande”. Pas “oh non, j’aimais trop ce boulot, je suis dégoûtée”. Donc une fois la blessure d’ego et la colère passées, c’était un fait : c’était un mal pour un bien. Par contre, la mort de mon chat, là, je n’ai aucun bien. Aucun. Même si je suis la première à dire que son départ a été le meilleur scénario pour elle. Je ne peux pas positiver ça.

Mon petit chat capricieux

Mais ça reste la petite mélodie dès que quelqu’un ne va mal. Il ne faut pas s’apitoyer sur son sort, il faut aller de l’avant. Bah non. Taisez-vous. On a le droit d’aller mal. On a le droit de dire que ça va mal. Parce que parfois, ça va mieux en le disant, déjà. Parfois, il suffit de vider son sac un bon coup pour obtenir un certain soulagement. Mais surtout tout ne se solutionne pas en un claquement de doigts. Parce qu’on a le droit de pas avoir envie de tout régler de suite. De se laisser couler un peu au fond du trou. Déjà parce qu’il est parfois plus facile de remonter avec un bon coup d’impulsion au fond. Mais surtout qu’à ne soigner que la surface pour (se) faire croire qu’on va mieux, on ne traite pas le mal. Et un jour où l’autre, ça nous pète à la figure.

Alors oui, vivons pleinement nos périodes de bad. Acceptons le fait qu’on va mal et profitons-en pour se reposer. Il y a quelques années, par exemple, suite à une énième rupture nulle, j’étais tombée dans un vice. Le gin fizz. Déjà pas le vrai gin fizz fait avec du bon gin et du citron bio, non. Un truc chimique acheté au rayon alcool, un cocktail tout prêt saturé de sucre. J’en buvais un verre par soir parce que ça tombait sur les terribles années 2011-2012 où je me suis tout pris dans la gueule ou presque. Et c’était d’ailleurs la dernière péripétie. Je me suis laissée le temps. J’ai fait taire la petite voix méchante. Oui, boire tous les soirs, même juste un verre, c’est pas top. Je ne le conseille pas. Mais à ce moment-là de l’histoire, c’est ce dont j’avais besoin. A la troisième bouteille vidée, en un certain nombre de jours quand même, j’ai décidé que j’en avais marre et suis passée aux bracelets brésiliens. Bien meilleur pour ma santé. De la même façon, quand ma mémouche est morte, j’ai senti le besoin de me saturer le cerveau. L’occuper à outrance. J’ai passé deux jours à jouer à Mario Odyssey en regardant Tout pour la lumière, affalée sur le canapé. Au troisième jour, je me suis levée et suis partie me faire crier dessus par le prof d’aquagym. Accélère, lève la jambe. Plus haut, c’est pas le cours d’aquacool, là !

Une femme nage, le visage à moitié immergé
(c) Tucker Joenz

Mais surtout, admettre qu’on va mal, c’est s’autoriser à soigner ce qui ne va pas. Un exemple tout simple : le burn-out. Le nombre de personnes en burn-out qui refusent de l’admettre et de s’arrêter car “moi, je suis pas comme ça”. Et bah moi, je suis comme ça. J’ai pris un mois d’arrêt maladie suite à l’annonce de mon licenciement conventionnel et ce fut la meilleure décision. Car je devais me battre et j’avais besoin de force. Et soigner le stress intense que cette annonce m’a causé avec un joli pic de tension. Je n’ai pas fait semblant d’aller bien, de gérer l’annonce avec calme. Déjà, j’avais envie de casser des bouches. Mais j’aurais joué les bravaches, je n’aurais sans doute pas eu le courage de montrer les dents. J’aurais finie perdante. Un service que j’aurais rendu à mon employeur et pas à moi. Mais admettre que l’on est en burn-out, ça sonne comme une petite faiblesse, un peu comme la dépression, non ?

Non. Si on accepte qu’on a le droit d’aller mal, j’entends. Ce n’est pas forcément simple. La société accepte certains maux dans certaines conditions. On accepte qu’une personne soit lourdement affecté par le deuil d’un Humain qui lui était proche. Pour le reste… On entend vite les discours culpabilisants à base de “tu devrais te bouger un peu, ça te ferait du bien”. Sans doute mais quand ta dépression t’amène à célébrer le fait de t’être juste levé de ton lit, on va attendre avant de conseiller un marathon, hein ? On a le droit d’aller mal. On a le droit de le dire. Et on a aussi le droit de virer de sa vie ceux qui ne veulent rien entendre. Je sais qu’on est parfois maladroit dans nos injonctions à aller mieux. Moi même, j’ai déjà été celle qui encourageait celui au fond du trou à bouger parce que c’est pas en se lamentant que ça ira mieux. Vous savez quoi ? Même si, moi, je pensais agir avec une bonne intention, ça n’a jamais fonctionné pour personne. Jamais. Personne n’a besoin d’une couche de culpabilité supplémentaire quand iel est au fond du trou à base de “non mais tu fais rien pour que ça aille mieux”. Donc d’un côté, on a droit de dire que ça va pas et de l’autre, si on n’est pas capable de juste entendre ça, d’aider la personne comme on peut sans nier son ressenti… Bah, autant le préciser de suite à la personne qui va mal afin que celle-ci se trouve une oreille vraiment compatissante.

Deux femmes enlacées devant une étendue d'eau au crépuscule, soutien moral
(c) Anastasia Pivnenko

Bref, admettre qu’on va mal, c’est un premier pas pour essayer de se soigner. Ca ne veut pas dire que ça va se régler en deux jours, hein. Mais pour que chaque pas compte, faudrait déjà penser à faire le premier.

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