Ruminer ou l’art de se polluer gratuitement

Ruminer ou l’art de se polluer gratuitement

Article que j’ai failli appeler “arrête de ruminer, t’es pas une vache” mais ça me rappelait trop ce que nous disaient les profs quand on mâchait du chewing-gum. Et ce n’est pas mon sujet du jour. Surtout que je ne me souviens même pas la dernière fois que j’en ai mâché, du chewing-gum. Non, là, on va parler du fait de ruminer certains événements, de ressasser à l’infini un événement en imaginant mille issues différentes. Inutile et frustrant.

Ruminer ou l'art de se prendre la tête
(c) Kostiantyn Usatenko

Je parle de ruminer car c’est quelque chose que je fais très souvent. Sans doute trop. Le classico “azy, j’aurais trop dû lui dire ça ou faire ça”. Mon cerveau est taquin. Quand je lui laisse de l’espace, il ne me choisit pas toujours le meilleur film. J’aime bien m’adonne à certaines activités qui permettent à mon cerveau d’aller là où il veut. Faire un puzzle, des mini-jeux, de la marche ou du vélo. Mon corps est occupé mais mon cerveau, non. Alors il s’envole. Parfois, il me raconte des histoires que je vais, potentiellement, pouvoir écrire. D’autres fois, il me rediffuse des bouts de séries ou de films que j’ai vus, va me jouer une chanson. Et puis parfois, il me ressort un épisode où j’ai pas été à la hauteur.

Quand je dis “pas été à la hauteur”, c’est plus “je n’ai réagi de la meilleure des façons”. Je n’ai pas joué de la façon la plus intelligente. Parce que oui, révélation, je prends parfois de mauvaises décisions. Par peur, précipitation, manque d’analyse, de recul. Sous le coup de l’émotion, aussi. Typiquement, j’ai eu beaucoup de ressentiment à la fin de mon contrat chez Sunlight où j’avais démissionné sans rien derrière, ne pouvant obtenir une rupture conventionnelle. Rupture conventionnelle qui reste, je le rappelle, un outil bien prisé des patrons pour vous faire dégager à moindre frais et non un vrai accord à l’amiable comme on aime à nous le faire croire. Je suis même persuadée que quand votre patron vous accorde une RC à votre demande, c’est qu’il avait prévu de vous sortir donc ça l’arrange. Bref, je suis partie de chez Sunlight sans rien alors que mon “échec” était surtout celui du management. J’aurais dû essayer de me faire virer mais hé, je suis en panique face aux situations conflictuelles alors…

jouer ses cartes pour s'en tirer dans la vie
(c) Clifford Photography

Mais je refais le match. Enfin, non, plus celui-là. A l’époque, je le refaisais inlassablement, courant à toute vitesse dans le lac de rage. Ah oui, ruminer a un avantage, néanmoins : quand on rumine en faisant une activité physique genre vélo ou marche, ça accélère naturellement la cadence. Oui, ruminer est énergivore mais si vous le faites au bon moment, ce n’est pas juste de l’énergie perdue. Là, par exemple, je rumine parce que j’ai accepté la rupture conventionnelle de ma boîte actuelle. J’ai chopé un bon chèque mais j’ai le goût de la bagarre. Je commence à regretter les prud’hommes parce que je voulais les condamner. Mais hé, les prud’hommes, c’est de l’énergie et des sous que je ferais mieux d’investir ailleurs. Oui, je voudrais que ces gens apprennent à respecter la loi, à défaut de respecter les gens. Mais j’ai un avenir à préparer. Stop la pollution.

Et stop la pollution de la rumination. Parce que ce qui est fait est fait. On a pris une route, on ne peut plus en changer. Ce qui ne veut pas dire qu’une prochaine bifurcation ne nous ramènera pas sur une voie qu’on aurait pu prendre tantôt. Mais ce qui est dit est dit, ce qui est fait est fait. On peut s’excuser ou retenter le coup mais on ne peut pas réécrire l’histoire. Quand je faisais mon bilan de compétences, à un moment, j’exprimais un regret. Sans doute sur ma fin de contrat chez Sunlight ou un mauvais choix dans mes études. Je ne me souviens pas. “Ah, si j’avais su…”. Et là, ma coach a été ferme : “je t’arrête de suite. Ca, ça ne sert à rien. Ce qui a été fait a été fait, tu dois avancer”. Ben oui, c’est facile de dire aujourd’hui “ah mais en fait, j’aurais dû faire des études de stats”. Alors que je n’avais aucune raison de faire ça àla sortie du lycée vu que les stats, ce n’était pas ce que je préférais. Moi, j’aimais juste bien résoudre les équations. Evidemment, avec mon parcours, c’est facile de se dire “mais j’ai toujours aimé les chiffres, pourquoi je n’ai pas poursuivi après le lycée ?”. Parce que tu voulais être journaliste et que les maths n’étaient absolument pas la voie royale pour ça. Tu voulais être journaliste parce que tu aimes écrire. Tes choix étaient logiques et éclairés en fonction de ton étoile du Nord. Fin de la réécriture de l’histoire.

Réécrire l'histoire
(c) Mana Akbarzadegan

C’est facile de dire qu’on aurait pu faire mieux. Surtout quand on est sortis du stress de la situation. Ca aussi, c’est ma spécialité : “mais pourquoi j’ai réagi aussi fort à ce stimuli alors qu’il n’y avait rien. Quelle drama queen”. Oui mais sur le coup, tu ne l’as pas vécu comme ça. Peut-être que pris isolément, cet événement qui t’a fait vriller était insignifiant. Mais c’était sans doute la goutte qui a fait déborder le vase. Evidemment qu’en cas de stress, il y aurait une meilleure façon de gérer. Mais ai-je vraiment besoin d’auto-flagellation dans une situation de crise émotionnelle ? La réponse est évidente : non. Non, non, non. 

Ruminer, c’est vraiment la triple punition. Energivore pour rien, pollue ton mental et en plus, dégrade l’image que tu as de toi. Et sans être psy, je suis persuadée que ceux qui ont tendance à ruminer sont aussi ceux qui ont une propension très forte à se déprécier. Ah, un jour, j’ai pas su répondre à quelqu’un qui me parlait mal ou je n’ai pas su bien défendre mes intérêts. Sans doute parce que je suis une petite crotte sèche qui ne mérite pas qu’on s’y intéresse. Vous saisissez l’ambiance.

Rouleau de PQ vide sur lequel est écrit "uh oh!"
(c) Nik

Alors je suppose qu’il faut avancer. Regarder résolument vers l’avenir. Les erreurs du passé ne sont pas forcément à oublier, certaines peuvent servir de leçon. Si une situation équivalente se reproduit, je ferai ci plutôt que ça. Mais genre l’altercation dans la rue avec une personne que vous ne reverrez sans doute jamais, est-il vraiment utile de refaire quarante fois le dialogue en mode “j’aurais trop dû dire ça et vomir dans sa voiture pour lui apprendre la vie”. Déjà je ne vomis jamais ou presque mais surtout ça n’a aucune importance. Pourquoi mon cerveau sentête à me rejouer une scène que j’aurais déjà dû oublier. Oui, j’ai peut-être pas bien agi ou réagi mais c’est notre quotidien à tous.

Bref, ruminer, ça ne sert à rien. On ne rejouera jamais aucun match. Etudier son passé pour en tirer des leçons, se souvenir de ses réussites, oui. Analyser ses échecs pour y trouver des moyens d’évitement si c’est possible, ok. Mais réécrire l’histoire, non. Ca ne sert qu’à alimenter la frustration et le ressentiment. Au pire du pire, réécrivez la scène à l’écrit une bonne fois pour toute ou écrivez une lettre de vidange si ça vous fait du bien. Mais pas plus. Ou alors, si vous n’arrivez pas à sortir de cette boucle émotionnelle, au pire, allez vous dépenser dehors. Marchez, courez, pédalez. Mais restez éloigné·e de la route si possible. Quand on est énervé·es, on n’est pas toujours des plus prudents. 

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