Où est passée la bienveillance ?
Le fond de l’air pue. J’aurais pu écrire cet article sur mon blog plus sociolo-politico-vener… Il aura d’ailleurs sa propre version. Sauf qu’ici, il va y avoir un peu de pipou. Enfin, je vais tenter parce que le pipou, en ce moment, c’est bien peu à la mode. Il y a une libération de la parole crasse et je me demande : à quel moment cette société a perdu toute bienveillance ?

La bienveillance est dans toutes les bouches
La bienveillance est vraiment l’un des buzzword des dernières années. Quasi toutes les entreprises se targuent d’être bienveillantes. Spoiler : c’est faux. J’en suis même au point où voir le mot “bienveillance” en toute lettre dans une annonce, c’est red flag direct. Toutes les sphères du bien-être ou du développement personnel ne parlent que de ça. Il faut être bienveillant avec soi puis avec les autres. Aimez-vous les uns, les autres, comme dirait le philosophe. Sur le principe, je trouve ça merveilleux. Sauf que dans les faits… Etre gentil, c’est être faible. Paraît-il.
Aimons-nous les uns, les autres sauf ceux-là
C’est pas nouveau, hein. Je citais Jésus au-dessus parce qu’en caricaturant, ça donne une idée de ce que je veux illustrer. Imagine, tu bases ta religion sur les paroles d’un mec qui a prôné l’amour et la tolérance de l’autre. Des gens étudient ça et font “Ok, Jésus, faisons ça. On va juste cramer les femmes seules et condamner les gens qui n’aiment pas comme on a dit qu’il faut aimer. Mais sinon, t’as trop raison”. J’ai dit que je caricaturais, hein. On pourrait faire la même sur d’autres religions mais je maîtrise moins. C’est fou comme j’ai l’impression que le message d’amour, c’est la théorie mais que la pratique, c’est ma main dans ta gueule.
Quand la méchanceté devient norme
Et puis il y a des périodes de l’histoire où la méchanceté s’épanouit, devient norme. Typiquement en ce moment, alors que la France a failli basculer côté extrême droite, il y a une libération effroyable de la parole agressive, méchante. Raciste en premier lieu. On a beau se dire que ça a toujours existé, les principaux concernés nous racontent une accélération, un sentiment d’impunité chez les agresseurs qui ne cherchent même plus à se cacher. Idem chez les LGBTophobes, d’ailleurs. Et je ne doute pas que cette période excite aussi les mascus et incels.

Ca devient presque difficile d’être gentil
C’est fou comme dans une société qui se prétend évoluée, on en est encore à discréditer la bienveillance, la gentillesse, la tolérance. Qu’on associe ces qualités à de la faiblesse. Limite, une personne qui se fait duper ou agresser, on va lui expliquer que c’est quand même sa faute. “Oui, mais trop, t’es trop gentil.le”. Ciel, depuis quand c’est un défaut ? Depuis quand essayer de choisir la voie de la gentillesse plutôt que celle de l’agressivité, c’est mal ? Et je dis bien “choisir” parce que ça devient compliqué d’être naturellement sympa. Déjà parce que les gens sont tendus en permanence. Et en plus, certains ayant décidé que le clash était une personnalité, on vient vous parler mal de façon gratuite, notamment sur les réseaux sociaux. J’avais parlé dans le temps d’un tweet que j’avais fait sur un trajet en train Bordeaux-Clermont-Ferrand qui imposait de passer par Paris. Rien de polémique, juste une absurdité du rail français. Y a des mecs qui ont trouvé légitimes de venir mal me parler sur ça. “Prends une voiture et FTG”. Pardon ?
Un réflexe de méchanceté qui fait mal
Les réseaux sociaux sont devenus une foire d’empoigne, une course à la punchline la plus méchante. Et me dites pas que “les réseaux sociaux, c’est pas la vraie vie”. Bien sûr que planqué derrière son écran, on peut laisser libre cours à sa noirceur la plus crasse. Mais les gens qui se font insulter via ces réseaux souffrent dans la vraie vie. Récemment, j’ai croisé deux cas qui m’ont vraiment troublée. Le premier : un média merdique qui cherche l’engagement à tout prix. Typiquement le genre de médias qui publie des contenus exprès pour énerver les gens. Là, un article inintéressant sur une dame de 43 ans qui déclare “je fais si jeune qu’on me prend pour la copine de mon fils”. Evidemment qu’elle ne faisait pas jeune. Evidemment que ce fut la curée dans les comms. Mais pourquoi ? Oui, en voyant la photo, j’étais peu convaincue par son histoire mais ai-je eu besoin de méchamment me foutre de sa gueule ? Autre histoire sur un podcast dédié à la gestion d’argent, une femme est interviewée sur la gestion de son budget post-rupture avec un enfant à charge. Sauf que l’interviewée est… grosse. Elle a tellement reçu d’insultes que le média, en accord avec l’intéressée, a fini par supprimer la vidéo.

J’aimerais être un Judy
Je crois que c’est pour ça que je suis devenue très sensible aux beaux personnages dans les séries télé. Par exemple la série Dead to me. Que je recommande, une jolie histoire d’amitié féminine. Mais surtout, tu as le personnage de Judy, incarnée par Linda Cardellini, qui est d’une douceur. Je l’ai adorée de toutes les forces de mon âme. Et j’ai envie d’être une Judy. Je travaille là-dessus parce que je suis quand même colérique et “réactive”. En gros, mes nerfs réagissent instantanément à l’agressivité, je ne sais pas garder mon calme. Alors qu’idéalement, il faudrait ignorer les cons et les tendus pour se concentrer sur le beau, le doux. Je veux que ma vie soit bâtie sur la gentillesse, vraiment.
Les loups et les agneaux
Mais ce n’est pas la norme. Certains, surtout des mecs, aiment t’expliquer que c’est la vie. Qu’il y a les loups d’un côté et les agneaux de l’autre et que les loups mangent les agneaux et que c’est comme ça. Qu’il ne faut pas faire confiance car les gens sont des ordures. Etre gentil, c’est être par défaut une victime. Est-ce que ce n’est pas par là qu’elle est morte, la bienveillance, d’ailleurs ? A intégrer que l’autre, surtout s’il est différent, nous veut du mal. Je pourrais avoir tout un discours politique ici sur la volonté de dézinguer tous les réseaux de solidarité mais ici, c’est pipou.
Penser quand même à se préserver
Et on peut être pipou sans être naïf. Cette notion du gentil qui se fait manger toute la laine sur son dos sans réagir, il faut arrêter. Je poursuis la métaphore de l’agneau, des loups, tout ça. Même si les loups ne mangent pas de laine… J’ai appris au fil des années à me préserver de certaines toxicités. Evidemment, c’est plus facile à voir avec le recul mais on a tous eu dans nos vies des gens qui nous rendaient plutôt pires que meilleurs. Ceux avec qui on entretenait une relation familiale, amicale ou amoureuse et qu’on n’osait pas stopper alors qu’on ressortait des entrevues avec eux avec un sale goût en bouche. Une tristesse ou une déprime dont on avait du mal à se débarrasser. Une chape au contour flou dont on ne comprenait pas toujours l’origine. On a tous nos limites et la bienveillance, c’est aussi envers soi et savoir ce qui est bon pour nous. Mais encore une fois, on peut avoir de la bienveillance pour autrui en respectant ses propres limites.
Marcher les uns sur les autres
On est à l’ère de l’individualisme, du règne du “mâle alpha”, qui est surtout alpha dans sa tête. J’ai participé malgré moi à la course à l’échalote de l’ambition pendant des années parce que je croyais que c’était la norme. Avoir de l’ambition, en soi, ce n’est pas un défaut. Je dirais même que le fait que je n’en ai pas me nuit, dans l’absolu. Le souci, c’est la représentation de la réussite qu’on nous pousse aujourd’hui en mode “faut être un killer”. On oublie toute compassion. On se raconte des fables sur « qui veut peut », que ceux qui chutent l’ont bien cherché. Tant pis pour les accidents de la vie, tant pis si tu n’as pas envie de te la « jouer killer ». Marche ou crève. Et si tu crèves, ça fera plus de place pour les autres.
Essayer de garder la lumière allumée
Bref, j’ai décidé, en mon âme et conscience, d’essayer d’être lumineuse, tant que faire se peut. Oui parce que certains ne méritent pas non plus notre gentillesse. Genre les irrespectueux. Mais sinon, on switche de mode. On sort de cette attitude “clash et punchlines agressives” pour essayer d’être plus dans le positif, le sourire et se réjouir du bonheur d’autrui. On en parlera semaine prochaine.