Croit-on être victime d’une vie insipide à cause des fictions ?
La grosse question, quoi. En cette période de nanowrimo qui m’enthousiasme pas mal, j’ai eu envie de parler fiction ici. Pas vous parler de livres ou de films découverts récemment puisque je fais ça sur mon blog dédié mais plus réfléchir à ce gros mensonge présent dans beaucoup, beaucoup de fictions : quand il ne se passe rien dans la vie, ça ne durera pas. Voire “si tout part en vrille, t’inquiète pas, une porte va s’ouvrir”. Une promesse assez proche de celle du développement personnel sauce lois de l’attraction. Sauf qu’en vrai, la vie, c’est pas juste une succession de hauts et de bas façon montagnes russes. Souvent, dans la vie, il ne se passe juste rien. Une longue succession de jours sans saveur. Une vie insipide.
En vrai, dans la vie, il ne se passe rien
Sauf que la vie, c’est souvent ça. Une longue suite de jours où il ne se passe pas grand chose. Où l’anecdotique s’affadit dans une éternelle routine. Plus jeune, j’avais la terreur du métro, boulot, dodo. Un héritage de Starmania, peut-être. Depuis, je lutte. Pas contre la routine mais pour adopter une routine cool qui pourrait se résumer à “laisser le moins de place possible au travail parce que je déteste ça”. Ce qui reste mon moto à l’heure actuelle. Chaque année, trois fois par an, je déboule avec ma liste de résolutions de : nouvelle année, anniversaire, rentrée. Limiter le travail au strict minimum et vivre. Viiiivre.
Moi je veux vivre… des vies imaginaires ?
Mais vivre, quoi, finalement ? Pendant des années, j’ai couru après une épiphanie sur ma vocation. Super, je l’ai eue. Pas de bol, ça ne nourrit pas. Un bilan de compétences qui ne m’a pas emmené bien loin, finalement. Imaginer une vie rêvée, quelque part dans un monde où je serais née vingt ans plus tard, commençant mes études avec une voie possible vers le data journalisme et l’infographie. C’est pratique en soi, les vies parallèles. Ca permet de s’imaginer des réussites indépendamment de toute considérations matérielles. Genre que je devienne une data journaliste de 44 ans à Bordeaux. Genre Sud-Ouest mettrait des infographies partout sur son site web et dans son journal…Et j’aurais un salaire correct, huhu. Bref, les quarante ans de ma vie pro se résumeront sans doute à “elle a tout fait pour s’en débarrasser”.
On voudrait tout être touchés par un aléa heureux de la vie
S’évader par l’imagination. Et voilà où on en vient. Pour supporter notre vie insipide, on s’échappe comme on peut. Et la fiction est un exutoire facile. Facile dans le sens immédiatement accessible, j’entends. On peut lire ou écouter un livre audio, regarder une série ou un film… Il y a quelques années, je m’étais gentiment moquée des téléfilms de Noël mais on est pile dans le sujet. On peut résumer n’importe quel téléfilm de Noël ainsi “Une fille de la campagne est partie à la ville pour faire une grosse carrière. Elle revient viteuf à Noël, peu emballée à l’idée de retourner chez les bouseux. Mais elle retrouve sur place un camarade d’enfance devenu drôlement sexy et elle plaque tout en trois jours pour se marier avec le beau garçon et devenir fermière. Si je ne trouve aucun attrait à ces fictions sirupeuses et prévisibles, reste pas moins qu’elles flattent notre rêve : pouvoir tout plaquer pour trouver un peu de simplicité.
Aimer ou changer
J’avais fait le même constat sur les comédies romantiques. On considère souvent qu’une comédie romantique raconte une histoire d’amour mais c’est faux. Ca raconte surtout une histoire de mue. Il y avait une vie avant, une rencontre qui bouleverse tout, révèle le héros ou l’héroïne à lui ou elle-même, et une vie après. C’est parce que j’ai longtemps vu une simple histoire d’amour cousue de fil blanc que j’ai détesté les comédies romantiques pendant longtemps. C’est parce que j’ai compris cette histoire d’épiphanie que… je n’aime pas toujours les comédies romantiques mais ça me fait bien cogiter par contre.
Se raconter des histoires en permanence
Quand on est célibataire et un peu aventureuse, on peut facilement se trouver des histoires pour sortir de la routine. Dans mes folles années de dating, je ne cherchais pas l’amour mais les histoires. Plisser un peu les yeux et imaginer être une héroïne. Pendant un date de 24h, en embrassant un garçon nommé Brad sur les escaliers du Sacré-Coeur. Le mec s’appelait vraiment Brad. Par contre, le romantisme s’arrêtait dès qu’un mec surgissait pour nous vendre des bières. Des moments un peu amusants, des anecdotes. Bon, plein d’histoires peu intéressantes aussi, on ne gagne pas à chaque tirage.
Puis une vie plus plan-plan
Aujourd’hui, moins de dating, plus de puzzles, rooïbos et bracelets brésiliens. Notez que je ne me plains pas vu que j’aime fort mon Victor et le Rooïbos. Et à mon âge, certes pas si avancé, je ne tiendrais plus le rythme de mes 30 ans. Il n’en reste pas moins qu’avec une stabilité affective et, relativement, professionnelle, ma vie ronronne mollement. Les péripéties que je vis ne sont pas notables ou incroyables. Quelques anecdotes que je monte parfois en épingle pour avoir de quoi causer quand je croise des amis. Mais ma vie, actuellement, elle se résume à dormir, détester mon taf, faire des puzzles et des bracelets brésiliens, de l’aquagym et de la comédie musicale. Ecrire, écrire, écrire. Une simple vie. Confortable, tranquille.
Le développement personnel n’aime pas que tu te contentes de ta petite vie
Pile ce que déteste le développement personnel. Hé oui. Il faudrait que nous ayons tous une vie extraordinaire. Parce qu’on le veut, parce qu’on le mérite. Parce qu’on a tous un talent quelconque qui devrait être exposé à la face du monde. On appuiera dessus plus tard mais si on se bagarre tous pour avoir cette vie meilleure, cette vie spéciale qu’on nous promet sans cesse, n’est-ce pas à cause de Cendrillon ou de n’importe quelle fiction où une héroïne va à la rencontre de son destin ? Passons sur le fait qu’un homme doit toujours faire partie de l’équation. La happy end de toutes ces histoires, c’est pas juste “elle a trouvé un mec sexy et adorable”, non. C’est littéralement “elle est sortie de sa vie insipide et a trouvé un mec et un boulot qui la stimule”. Typiquement “Ta deuxième vie commence le jour où tu comprends que tu n’en as qu’une”. Un roman qui raconte l’histoire d’une femme à bout de nerfs à cause de la vie qui va plaquer son travail pourri pour ouvrir son magasin de ventes de fringues pour enfants. Dans A la lumière du petit matin, l’héroïne d’Agnès Martin-Lugand est contrainte par la vie de s’isoler dans le sud et elle va y construire sa vie.
Nos vies sont le résultat de notre destin
La fiction sacralise le destin, cette série d’événements qui nous amène là où nous devions finir. J’imagine qu’on peut tous écrire une histoire similaire. Si je vis à Bordeaux aujourd’hui, c’est parce que j’avais envie de quitter Paris mais que Toulouse ne pouvait pas être un bon choix car Victor avait le droit de partir bosser en distanciel mais à condition de revenir une fois par semaine. Ma vie à Bordeaux me comble de joie, peut-être plus que si on s’était installés à Toulouse. Même si je fais toujours ce métier absurde et que les perspectives d’emploi dans le coin ne sont pas folles. Alors je rêve d’une opportunité, d’un hasard de la vie qui me placerait sur des bons rails. Une rencontre, un joyeux aléa.
Un événement pour réenclencher la vie
Sauf que la vie, ce n’est pas ça. Les joyeux aléas, on n’en croise pas toujours. Parfois même pas du tout. La fiction nous raconte que tout vie insipide sera dynamitée par un événement. Pas toujours heureux. J’ai le vague souvenir d’un téléfilm avec Jane Seymour où la carriériste new-yorkaise était rappelée à la maison après le décès de son père qui avait explosé avec le poêle à mazout. L’amour attendait au tournant, ohlala. Pour le coup, je suis plutôt contente que mon père n’explose pas. Je sais que dans des périodes un peu meeeh de ma vie, je me place en attente. Je compte les jours. Jusqu’à ce qu’il se passe un truc. Alors que la plupart du temps, il ne se passe rien. Et le seul fait notable est qu’il a fait beau sur un week-end et ça m’a exaltée. Pas de quoi écrire un roman. Mais un article, pourquoi pas.
Une vie insipide, c’est juste la norme
Moralité ? Si vous voulez batailler contre une vie insipide, ou du moins une vie perçue comme telle, pourquoi pas. Mais n’oubliez pas que cette vie insipide est juste la normalité et que personne n’écrit notre vie de telle façon que quelqu’un voudrait la lire. Pas d’éléments modificateurs, pas d’happy end dans les foins. Et puis la vie à la campagne, c’est pas aussi bucolique et authentique que ce qu’on veut nous vendre. De toute façon je suis allergique au pollen et au cheval. Donc même si je voulais ma happy end avec un joli cowboy, c’est la campagne qui ne veut pas de moi.