A toi aussi, il peut arriver des choses bien
Pensée qui ne correspond pas à ma mythologie familiale. Je suis à un point de ma vie où je n’attends pas grand chose de plus. Je suis en quête de plaisirs, de satisfaction. D’apprentissage, aussi, de progrès, sans doute. Mais niveau boulot, j’ai lâché toute forme d’ambition et ma seule envie de changer de taf est lié au fait que je déteste Robert et que ça me fait mal au cul de lui donner ma force de travail. Ma vie me convient bien dans l’absolu. A un truc près où je reste en balance, indécise. Tenter ou non ? Après tout, c’est vrai : dans ma famille, on n’est jamais aidés par le destin. Les choses bien, ce sont toujours pour les autres.
Pourquoi tenter, ça plantera forcément ?
Bon, comme vous vous en doutez, ceci est factuellement faux mais j’y reviendrai. Si je fréquente moins les réseaux sociaux depuis quelques temps pour des raisons de j’ai arreté Twitter, le peu que j’y vais crée des hésitations chez moi. Sur l’écriture, pour l’essentiel. J’ai plus ou moins remplacé Twitter par Threads, réseau que je survole en acceptant d’etre guidée par les algorithmes. Je tombe régulièrement sur des posts d’auteurices de tous genres. Des auto-édités aux “vraiment édités par de vrais maisons d’édition à compte d’éditeur”, en passant par des gens comme moi qui ont des manuscrits plein leur tiroir mais n’en font pas grand chose de plus. Le travail d’écriture et de soumission de manuscrit apparait donc de plus en plus régulièrement dans ma vie. Et selon mon humeur et mon énergie, j’oscille entre l’envie de retenter un truc et une flemme intergalactique doublée de cette croyance : de toute façon, les choses bien ne sont pas pour moi. Sous-entendu “je suis sûre que meme si je bosse comme une malade, mon manuscrit ne sera même pas lu car c’est la loterie, ce truc”.
C’est mon destin d’être publiée
J’ai grandi avec cette valorisation tenace de mon talent d’écriture. Alors, oui, j’ai une plume mais :
- Je ne suis pas la seule
- Je ne suis pas certaine que le talent existe en tant que tel. Une bonne vidéo sur le sujet, d’ailleurs.
J’ai une bonne plume, oui; Parce que j’ai des habitudes et aptitudes qui m’ont menée jusque là. De un, je consomme énormément de médias, souvent fictionnels mais pas que. Ca m’a permis d’être en contact avec tout un tas de mots, de styles différents. Et comme j’ai une très bonne mémoire, je peux m’exprimer aisément avec toute cette variété de mots immédiatement disponibles dans mon disque dur mémoriel. Après, je n’ai pas plus travaillé mon sujet plus que ça. J’écris sans méthode et sans correction. Un peu comme le chant : je chante globalement juste et j’ai une bonne voix. Mais là, j’ai repris la comédie musicale après avoir arrêté pendant deux ans et ma première prestation solo ne fut pas des plus brillantes. Bonne mais en deçà de ce que je peux faire quand je suis bien entraînée. On peut dire la même chose de la course à pied, j’imagine. Mais vu que je n’en fais pas, je laisse ceux qui s’y entendent finir de filer la métaphore.
Je sais donc j’obtiens
Dans ma prime jeunesse, finir publiée était donc une évidence. Ca m’arriverait forcément. Pas tant parce que j’étais la meilleure mais je “savais bien faire” donc ça me paraissait une juste récompense. Oui, fut un temps où j’étais très naïve et je pensais qu’il suffisait de faire pour avoir. Par exemple, intégrer un master 2 de journalisme me paraissait le multipass ultime pour devenir journaliste, surtout que j’écris bien. Oui, toujours cette même idée. Et puis, en intégrant la vie parisienne, j’ai réalisé que “bien écrire”, ça n’avait aucune valeur. Par rapport au fait d’avoir fait une école reconnue, d’avoir un réseau, d’avoir fait un stage qui débouchait sur, à minima, une pige. Sur certains sujets, je ne peux m’en prendre qu’à moi-même, je ne suis pas là pour me plaindre. Les écoles reconnues, je les ai même pas tentées sauf celle de Toulouse. Je pourrais pérorer sur le fait que je n’avais pas notion, à l’époque, qu’un concours ne se préparait pas uniquement sur le volet savoir mais on s’en fout. Idem pour les stages, je n’ai pas été stratégique car pour moi, ce qui comptait, c’était l’opportunité immédiate.
Une kilotonne de déconvenues
Et puis en avançant dans la vie, j’ai essuyé des déconvenues. Pas tant au niveau de l’écriture qu’au niveau professionnel. Une malchance, t’as peur. Parfois, j’ai eu tort d’ignorer des red flags, attention. Là, encore, je ne suis pas la simple victime de circonstances, j’ai mon lot de décisions pourries. Mais depuis que je suis sur Bordeaux, j’ai parfois l’impression que le prix de ma nouvelle vie quasi parfaite est fort salé. Trois ans, trois boites :
- Sunlight, un fiasco incroyable. Tellement que la semaine dernière, j’ai rajouté un de mes anciens clients de cette période. Le mec est allé sur mon profil mais n’a pas accepté l’invitation car je pense qu’il ne me remet pas du tout. Oui, j’ai viré Sunlight de mon CV, pas très intéressant le “et bah, j’ai passé six mois à faire du copier/coller d’annonces, c’était pas intéressant”. Fun fact, cependant : le SEA que j’ai vaguement appris à l’époque, c’est le levier sur lequel j’interviens aujourd’hui. J’en ai au moins tiré ça.
- Vinyl V2 qui a été un peu dur à avaler celui-là car il ruinait ma croyance que le bon travail paie. J’avais quitté Vinyl en 2020 auréolée de gloire. J’étais la “meilleure consultante marketing”. Bon, le niveau n’était pas fou, soyons un peu honnête. Mais j’étais l’étoile qu’il fallait préserver du vilain Michel le toxique. Forcément, j’abordais ce retour avec une certaine confiance meme si… en 3 ans, les gens avec qui je bossais sont tous partis. Du coup, au bout de 4 mois, on n’a pas su me trouver de mission, bye bye.
- Et la dernière, va falloir que je trouve des noms. Une période d’essai idyllique et patatras, le rachat. En 7 mois, mon équipe est passé de 6 à 2, j’ai un PDG méchant, agressif et franchement stupide. Sérieusement, ça me choque qu’on puisse être aussi con au premier degré comme ça. Le jour où je partirai, je déballerai tout. Ca fera la taille d’une encyclopédie.
Je ne peux pas tout deviner
Alors autant Sunlight et Vinyl 2, j’ai sciemment ignoré des petits signes qui ne me rassuraient pas parce que “c’est compliqué de trouver un job à Bordeaux”. Mais le dernier, quand j’ai signé, y avait pas le rachat. Les discussions n’étaient pas initiées. C’est terrible parce que ça me conforte dans ma croyance que les choses bien ne peuvent pas m’arriver. Surtout professionnellement.
J’ai pas toujours tout compris à la vie
Et pourtant, c’est faux. Sur le volet pro, je suis toujours retombée comme il faut sur mes pieds. Sunlight est arrivé à un moment où j’avais renoncé à trouver un job sur Bordeaux. Vinyl 2 après un gros craquage. Mon dernier taf, je l’ai trouvé moins de deux semaines après avoir été débarquée de Vinyl 2. Et pour l’écriture, j’avais été contactée par deux éditeurs, à l’époque. Et comme je suis toujours à côté de la plaque, j’avais pas bien compris les règles du jeu. Eux, ils voulaient juste éditer les Vingtenaires en version livre alors que moi, je n’étais pas intéressée. Je voulais écrire un roman. Sauf que ça n’avait pas d’intéret pour eux. Ils avaient trouvé une matière qu’ils voulaient affiner, pas que je leur propose une nouvelle roche à tailler. Mais du coup, ce n’est pas que les choses bien n’arrivent pas “aux gens comme nous”, quoi que ça veuille dire. Juste que la chance n’est pas quelque chose d’immuable.
Ciao la mythologie nulle
Moralité ? Il est temps de se défaire de cette mythologie qui coupe les ailes. Parce que les choses bien, ce n’est pas qu’une question de chance, finalement. Parfois, suffit d’avoir l’audace de tenter, ne pas se cacher derrière une (fausse ?) modestie et remettre son travail sur l’ouvrage, encore et encore. Bien sûr que certains y arrivent parce qu’ils ont des réseaux que je n’ai pas, des privilèges auxquels je n’ai pas accès. Que tout scribouillard.e du dimanche s’étouffe en découvrant que Marlène Schiappa a écrit pas moins de 36 bouquins alors qu’elle ne sait vraisemblablement pas écrire. Mais ça n’a rien à voir avec moi et, comme dirait ma psy ou ma coach emploi, ça sert à rien de se lamenter sur les choses qu’on ne contrôle pas. Comme les réseaux de relations qui permettent à des auteurices médiocres de faire publier leur petit étron ou les rachats brutaux.
Par contre, la fureur de Robert, je vais en faire un roman, je peux pas ignorer une telle matière brute.